La Quadrature du Net a publié ce mardi un communiqué exceptionnellement long, qui mérite une lecture attentive. « Qui a gagné la bataille Hadopi« , s’interroge la Quadrature, qui énonce une réponse en quatre temps : c’est d’abord une victoire législative pour Nicolas Sarkozy, mais une défaite juridique pour la riposte graduée, une victoire idéologique des opposants à Hadopi, et la défaite de l’Etat de droit.
Le collectif rappelle tout d’abord les nombreuses péripéties et contre-temps législatifs qui ont conduit le Conseil constitutionnel a enfin valider la quasi totalité du projet de loi Hadopi 2, après la censure partielle d’Hadopi 1. « Les lois Hadopi peuvent enfin être promulguées. En cela, Nicolas Sarkozy peut s’estimer vainqueur. Il a obtenu – dans la douleur et aux forceps – ce qu’il voulait : une loi réprimant le partage d’œuvres sur Internet !« , constate la Quadrature du Net. Mais voilà tout pour les compliments. Car pour le reste, c’est la Bérézina.
Sur le plan strictement juridique, la loi devrait révéler toute son inefficacité. « Force est de constater que la détection d’échange d’œuvres sans autorisation sur Internet (…) est d’ores et déjà jugée obsolète, les moyens d’y échapper étant d’ores et déjà de notoriété publique« , note d’abord le collectif. « Mais, c’est surtout l’amputation du principe même de la réponse imaginée par la loi, qui condamne Hadopi à demeurer inopérante (…) La loi Hadopi proposait une réponse reposant sur des sanctions massives : la fameuse » riposte graduée » (…) Mais il n’a pas échappé au Conseil constitutionnel que ce qui était vu comme obstacles à l’application de sanctions massives ne constituait ni plus ni moins que le respect de droits et libertés fondamentaux : séparation des pouvoirs, droit à un procès équitable, droits de la défense, respect du contradictoire, présomption d’innocence et nécessaire arbitrage entre droit d’auteur et liberté d’expression et de communication. Ainsi sa décision du 10 juin 2009 a porté un coup fatal à l’efficacité de la riposte graduée : les sanctions devant être prononcées par un juge, il n’est plus question qu’elles soient massives.«
En écho à l‘analyse que nous faisions de la décision du 22 octobre, la Quadrature rappelle que « le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de rappeler tout au long de sa décision ce rôle central du juge« . S’il n’a pas censuré la possibilité de suspendre l’accès à Internet, il a confié au juge toute la responsabilité, lourde et complexe, de définir les cas (improbables) où elle pourra être prononcée. Quant à la « négligence caractérisée », hautement critiquable, c’est le Conseil d’Etat qui devra vérifier la légalité des décrets d’application, s’ils sont un jour publiés. « Devant autant d’obstacles à franchir, l’application de sanctions massives devient illusoire et tout espoir d’efficacité de la riposte graduée s’en trouve neutralisé« , résume La Quadrature du Net.
Sur le plan idéologique, l’association voit aussi la victoire des opposants à la loi Hadopi. Le gouvernement avait dit vouloir installer un « cadre psychologique » pour convaincre l’opinion publique du bienfondé du postulat selon lequel les échanges d’œuvres sur Internet sans autorisation seraient responsables de la crise des industries du divertissement, mais « les quelques enquêtes ayant mesuré l’impact d’Hadopi sur l’opinion sont sans appel« , estime le collectif. De plus, « alors que les moyens mis en œuvre par Nicolas Sarkozy et son gouvernement pour influencer l’opinion publique étaient conséquents, ce sont les critiques et les doutes sur les lois Hadopi qui ont trouvé le meilleur écho dans la presse« . « Les divers revers des lois Hadopi € le rejet du texte de la CMP par les députés, la censure du Conseil constitutionnel ou les votes à répétition du Parlement européen d’un amendement condamnant la riposte graduée – ont fait les unes des quotidiens, journaux télévisés et radiophoniques. »
Enfin, « l’échec le plus patent sur le plan idéologique des promoteurs d’Hadopi est sans doute l’émergence dans le débat public de propositions constructives imaginant des financements alternatifs pour les biens culturels en ligne. Preuve que le message selon lequel les sanctions des lois Hadopi seraient indispensables pour financer la création n’est pas passé« . La Quadrature du Net pense notamment aux propositions de Mécénat Global, ou à l’organisation hier d’un colloque sur la rémunération des créateurs dans l’univers numérique auquel participaient notamment Dominique de Villepin, Aurélie Filipetti, ou Jean Dionis du Séjour.
En bilan, La Quadrature désigne un grand perdant : l’Etat de droit. « On a pu en effet observer durant cette bataille Hadopi que la loi pouvait servir de prétexte à un chef d’Etat capricieux, dédaigneux de toute opinion contraire (…) Le chef de l’Etat insiste à tout prix pour obtenir l’objet de ses caprices« , et il a obtenu sa loi, et même deux. Mais au prix d’un constat politique dur. « Pour l’Elysée, l’espace d’expression que constitue Internet doit coûte que coûte être muselé. Le pouvoir législatif doit suivre scrupuleusement les instructions de l’exécutif. L’autorité judiciaire doit être contournée par tous les moyens…«
« Certes, il est probable qu’en l’occurrence nul juge n’applique jamais la peine de suspension de l’accès Internet sur la base des accusations de l’Hadopi (…) De même, De même, il est vraisemblable qu’aucune condamnation ne soit prononcée pour contrefaçon ou » négligence caractérisée » par le biais d’ordonnances pénales, puisque celles-ci pourront être contestées par le Parquet, le juge ou le prévenu. Mais comment comprendre qu’on puisse trouver légitime d’appliquer une justice expéditive à tout délit, simplement au vu de l’ampleur quantitative des infractions ?«
Pour la Quadrature du Net, la bataille Hadopi marque un recul de l’Etat de droit en France, et annonce d’autres batailles à venir.
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