Il n’est désormais plus possible de verser le moindre euro dans la cagnotte ouverte en faveur de la famille du policier auteur du tir mortel qui a tué Nahel, le 27 juin dernier. L’organisateur de cette campagne, Jean Messiha, a annoncé le 4 juillet, en fin de journée, sa fermeture. En cinq jours, plus de 85 000 personnes ont participé, accumulant un total dépassant 1,63 million d’euros.
Plainte contre l’auteur de la cagnotte
C’est en réaction à l’initiative d’un député socialiste, Arthur Delaporte, que Jean Messiha, polémiste et ex-porte-parole du candidat d’extrême droite Éric Zemmour, a annoncé l’arrêt de la cagnotte. « Elle sera fermée ce soir et tu pourras rien faire », a-t-il écrit le 4 juillet, en citant le tweet du parlementaire. Celui-ci a signalé avoir saisi la justice pour neutraliser cette initiative.
Dans son message, l’élu du Calvados développe un argumentaire selon lequel la cagnotte serait illicite. Il s’appuie notamment sur le profil de l’instigateur de cette opération , une « figure de l’extrême droite bien connue pour ses appels réguliers à la xénophobie et à la haine », « condamné[e] pour injure publique et [faisant] l’objet d’enquêtes judiciaires. »
Surtout, le député s’appuie sur la description de la cagnotte, qui suggère qu’elle n’est pas adressée à la famille du policier, pour la soutenir dans cette épreuve, mais au policier lui-même, alors qu’il est mis en examen pour homicide volontaire. Le texte « fait parfaitement état des intentions réelles de la destination des dons », note Arthur Delaporte.
Ce décalage entre l’intitulé de l’opération et sa description offre potentiellement une prise qui pourrait aboutir à l’annulation de la cagnotte en justice. La plateforme qui a été choisie pour collecter les fonds, GoFundMe, a considéré que la campagne est « conforme à [ses] conditions d’utilisation », en indiquant que la famille du policier a été ajoutée comme bénéficiaire.
L’initiateur de cette cagnotte « utilise le drame de Nanterre pour asseoir et véhiculer des idées politiques appelant à la haine », ajoute la missive adressée à la procureure de la République de Paris. Elle se conclut par une série de motifs (incitation à la haine et à la violence, financement de frais liés à une condamnation judiciaire, risque de trouble à l’ordre public) justifiant la fermeture.
Depuis son apparition début juillet, la cagnotte — officiellement intitulée « Soutien pour la famille du policier de Nanterre » — est au cœur d’une vive polémique. Elle est perçue par ses opposants comme un soutien en faveur du mis en cause, mais aussi un moyen de faire passer un message plus politique, approuvant la police et ses méthodes.
Plaintes croisées
L’affaire s’est maintenant durcie sur le terrain judiciaire. Sur Instagram, l’avocat de la famille de Nahel a annoncé le 4 juillet une plainte contre Jean Messiha, pour « escroquerie en bande organisée, détournement de traitement de données à caractère personnel et recel de ces délits ». La plainte vise aussi « toutes les personnes […] ayant participé à cette infraction. »
Une action à laquelle Jean Messiha a répliqué en annonçant sa propre plainte, en diffamation cette fois. « La plainte déposée par la famille de Nahel n’a aucun fondement juridique. Elle relève d’une récupération honteuse et d’une communication politique diffamatoire et calomnieuse contre laquelle je déposerai plainte », écrit-il.
Où peut aller l’argent ?
Reste une interrogation : la famille du policier touchera-t-elle vraiment la somme figurant sur GoFundMe ?
Il y a plusieurs possibilités :
- Que la justice annule l’opération, auquel cas les fonds n’iront pas à la famille ou au policier et seront rendus aux donateurs. Cela pourrait survenir, par exemple, s’il est démontré que les fonds sont destinés au policier et visent à payer tout ou partie des frais de justice en lien avec une éventuelle condamnation judiciaire ;
C’est pour cette raison que la cagnotte lancée en faveur du boxeur des gilets jaunes avait été annulée par la plateforme, décision confirmée ensuite par la justice. Le tribunal judiciaire de Paris a relevé qu’il s’agissait d’un soutien à des violences contre la police et qu’elle incluait « un appel à compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir, ce qui est contraire à l’ordre public. »
- La justice pourrait également donner raison au député sur ses autres motifs (trouble à l’ordre public, incitation à la haine) ou à l’avocat de la famille de Nahel qui a lancé d’autres griefs (escroquerie en bande organisée, détournement de traitement de données personnelles, recel de ces délits). Il faudra néanmoins en apporter la démonstration.
- Si la cagnotte n’est pas annulée par la justice, il y aura, quoi qu’il arrive, des frais de la plateforme d’une part, qui pourraient atteindre presque 70 000 euros, et des prélèvements fiscaux d’autre part. Selon le mode de calcul, on parle de centaines de milliers d’euros.
L’autre campagne de dons, ouverte cette fois en faveur de la famille de Nahel, est toujours en cours. En date du 5 juillet 2023, elle a permis d’amasser plus de 420 000 euros.
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