Ce n’est pas parce que l’on est en état d’urgence et que des libertés fondamentales sont suspendues que la police peut oublier la rigueur nécessaire aux perquisitions administratives qui viennent à l’appui des mesures de restrictions de libertés. Le Conseil d’État a ainsi ordonné mardi la suspension de l’assignation à résidence d’un justiciable de Montpellier, après que le ministère de l’Intérieur ait été incapable de produire les preuves supposées découvertes sur l’ordinateur du suspect.
En l’espèce, l’homme était dans le collimateur des services de renseignement pour sa « proximité avec une famille djihadiste partie en 2013 dans les rangs de Daesh », reconnue lors d’un entretien avec la DGSI en 2014. Mais il n’y avait aucun élément concret retenu contre lui pour prouver son propre dessein terroriste. La police avait donc profité de l’état d’urgence pour opérer chez lui sans l’aval d’un juge une perquisition administrative dans la nuit du 16 novembre 2015, à la suite de laquelle l’homme a été immédiatement assigné à résidence.
Pour justifier la mesure, le ministère de l’Intérieur avait affirmé avoir découvert au domicile du suspect de nombreux livres sur l’Islam d’inspiration fondamentaliste et un cahier de dessins manuscrits dans lequel figuraient entre autres des bannières et oriflammes emblématiques de l’État islamique. La police avait aussi trouvé, selon elle, « un dessin satirique représentant un terroriste venant de Syrie poignarder la France », découvert sur l’ordinateur du suspect.
Le ministère de l’Intérieur a refusé, sans motif, de communiquer le contenu de la clé USB
Le ministère de l’Intérieur avait bien produit au tribunal des photographies de ces découvertes, mais sans être capable de prouver qu’elles provenaient effectivement de la perquisition. Or le PV de perquisition n’en faisait aucunement mention et indiquait même que « les recherches au domicile de l’intéressé n’ont amené la découverte d’aucun objet en rapport avec une infraction ».
L’assigné à résidence avait certes reconnu l’existence des livres et du cahier, en affirmant qu’ils étaient rangés dans un carton appartenant au père de la famille djihadiste en question, et qu’il ignorait son contenu. Mais en revanche, il a nié farouchement la détention d’un ordinateur et donc, par extension, la possession de l’image satirique d’apologie du terrorisme.
Assigné à résidence sans preuves solides
Lors de la perquisition administrative, la police aurait fait usage des pouvoirs de copie de données informatiques offerts par l’état d’urgence, et copié l’image en cause sur une clé USB. Mais selon le Conseil d’État, « le ministre de l’intérieur a refusé, sans motif, de communiquer la clé USB qui contiendrait les données copiées et dont il s’est pourtant prévalu devant le juge ». Par ailleurs la copie des données ne figurait pas non plus au procès-verbal.
Le Conseil d’État a donc du se résoudre à l’évidence, et constater que le dossier qui justifiait depuis près de quatre mois l’assignation à résidence était complètement troué, et que le gouvernement était bien incapable de prouver que les preuves alléguées n’étaient pas pures inventions. C’est certainement la faute d’une perquisition réalisée à la va-vite, sans prendre la peine d’effectuer correctement les scellés et le procès-verbal.
Le pessimiste y verra la remise en liberté d’un potentiel djihadiste. L’optimiste y verra la libération d’un homme accusé abusivement. L’interrogatif, lui, se demande ce qu’il peut bien y avoir sur cette clé USB que le ministère de l’Intérieur refuse de produire. Si tant est qu’elle n’ait pas tout simplement été perdue.
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