(CC Bruno Girin)
Dans notre précédent article, nous rapportions les conclusions de la synthèse publiée par Nathalie Kosciusko-Morizet concernant les mesures à prendre pour le développement de l’offre musicale en ligne. Elles sont encore de nature à douter de l’engagement de la secrétaire d’Etat à l’économie numérique concernant le respect de la neutralité du net. Le principe, rappelons-le, veut qu’un fournisseur d’accès à Internet achemine les données sans discrimination d’origine, de destination ou de contenu, et sans y apporter de modification. Concrètement, il implique qu’un FAI ne peut pas favoriser dans ses tuyaux la distribution de ses propres contenus ou celui de ses partenaires, bloquer un service concurrent, ou faire payer des distributions de paquets à vitesses variables.
Dès le mois de mars dernier, nous nous étions interrogés sur les propos de la nouvelle secrétaire d’Etat, qui avait déclaré qu’en « matière de numérique, la vraie innovation se situe dans le modèle économique plus que dans la technologie« , et qui insistait sur l’importance d’un « triangle réseaux-innovation-contenus« . « Le rôle premier des pouvoirs publics est de créer les conditions favorables à l’investissement privé (…) Il faut faciliter la création des réseaux, mais ces derniers ne sont rentables que s’il y a des usages. Je suis convaincue que c’est dans les contenus que la valeur se situera dans les dix prochaines années. Les réseaux vont devenir une commodité« , avait-elle déclaré.
Historiquement, les usages sur le web se sont développés grâce au développement des réseaux. Inverser le processus, c’est nécessairement tendre vers l’abandon de la neutralité du net, en favorisant les services les plus rentables pour les fournisseurs d’accès.
La synthèse que NKM a remis concernant le développement de l’offre légale ravive ces inquiétudes. En effet, la secrétaire d’Etat souhaite que s’engage « une négociation cadre entre les diffuseurs de contenus culturels sur Internet et les fournisseurs d’accès, afin de mettre en place des forfaits d’utilisation de la bande passante plus adaptés aux modèles économiques des sites de streaming légaux et des webradios« . On croit y percevoir l’idée de favoriser chez les hébergeurs des tarifs de bande passante plus favorables aux services « légaux », ce qui serait là une discrimination contraire au principe de neutralité. A moins qu’il ne s’agisse (c’est peu probable) de facturer aux abonnés l’accès à des services comme Deezer, ce qui serait là aussi une atteinte à la neutralité du réseau. On ne voit pas comment interpréter cette proposition autrement qu’avec des effets redoutables sur le principe de neutralité du net.
On peut d’ailleurs s’inquiéter d’un autre passage de la synthèse, qui note que « la prévalence des pratiques de téléchargement illégal par P2P représente une difficulté économique pour les FAI, les taux d’utilisation de la bande passante théorique allouée à leurs clients étant bien plus élevés que prévu« . Or c’est cet argument, de plus en plus faux, qui est utilisé par les FAI pour demander l’abandon de la neutralité du net.
« La prioriété est de récompenser et de monétiser le contenu. La priorité n’est pas de faire croître le trafic chez les fournisseurs d’accès à Internet« , a récemment déclaré Jean-Bernard Lévy, le président de Vivendi, au sujet de sa filiale SFR.
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