C’est un procédé classique. Pour justifier une politique rigide, il est de bon ton d’évoquer des situations intolérables et indéfendables. Ainsi, l’adhésion des foules n’en est que plus facile. Car s’il est légitime de lutter contre le terrorisme ou la pédophilie, cela doit évidemment se faire dans un cadre respectueux des libertés individuelles de chacun. Or, avec le projet de loi Loppsi, acronyme pour « Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure », le doute subsiste.
Ainsi, le 24 mars dernier, Michelle Alliot-Marie avait dépeint Internet d’une façon bien sombre lors du Forum International CybercriminalitéÉvoquant tout à la fois les escroqueries en ligne, les attaques racistes et antisémites, la pédophilie, la pédo-pornographie, l’espionnage industriel, le terrorisme utilisant Internet pour répandre sa propagande ou encore la diffusion des modes d’emploi d’explosifs ou pirater des sites stratégiques, la ministre de l’Intérieur avait relevé que le seul point commun de ces différentes formes de la cybercriminalité est l’usage du réseau.
Cette déclaration n’était d’ailleurs pas sans rappeler la présentation ubuesque de l’inénarrable Frédéric Lefebvre, qui avait déclaré alors que « l’absence de régulation financière a provoqué des faillites. L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes ! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments ? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés ? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde ? Combien faudra-t-il de créateurs ruinés par le pillage de leurs œuvres ?Il est temps, mes chers collègues, que se réunisse un G20 du Net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde« .
Mais les politiques ne sont pas les seuls à s’appuyer sur la pédo-pornographie pour justifier le projet de loi. Révélé par Astrid Girardeau, un entretien publié dans le bulletin d’octobre de l’Ilec (Institut de Liaisons et d’Etudes des industries de Consommation) consacré à la cyber délinquance avec le commissaire-divisionnaire Christian Aghroum aborde notamment la question des bienfaits d’un tel texte législatif.
Interrogé sur les points forts de la Loppsi, le responsable de Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC) explique que « l’Office est promoteur de quelques suggestions. La première porte sur le blocage des sites pédopornographiques, car bon nombre de pays, non coopératifs, refusent de les fermer (Russie, pays d’Asie). Une bulle de protection, sorte de contrôle parental national, va permettre à l’internaute de naviguer librement sans être assailli par des images plus que douteuses« .
Car en effet, dans l’état actuel du projet de législation, c’est l’OCLCTIC qui fournira aux fournisseurs d’accès la liste noire des services à bloquer, lesquels auront une obligation de résultat. Or, si la liste sera établie par arrêté du ministre de l’Intérieur, toute la question est de savoir si ces informations seront publiques. Car pour l’heure, la seule chose de certaine sera la nécessité pour chaque FAI de mettre tous les moyens en œuvre, à leur discrétion, pour bloquer les sites mis à l’Index gouvernemental.
Or justement, à partir du moment où la liste n’est ni rendue publique, ni contrôlée par les juges, les risques de dérives sont très importants. Plusieurs cas de censure abusive ont été relevées dans différents pays, comme en Australie, au Danemark ou en Finlande. Ars Technica avait indiqué alors que dans cette liste noire figuraient des pages de sites étrangers qui ne faisaient que reprendre la liste des pages bloquées dans leur propre pays.
Et puis l’efficacité d’un tel texte doit être encore démontrée. Rappelons que la Commission nationale de la défense nationale et des forces armées avait porté un rude coup contre le projet de loi Loppsi, expliquant que « le texte protège les internautes contre les images de pornographie enfantine. À l’instar d’autres pays européens, tels la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark ou la Suède, qui se sont dotés de dispositifs permettant de bloquer l’accès aux sites pornographiques sur leur territoire, il est prévu d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites« .
« La liste des sites concernés sera définie par un arrêté du ministre de l’Intérieur. En pratique, l’office de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) transmettra par voie électronique les données utiles aux FAI, qui auront le choix des technologies de blocage. Un décret précisera les modalités d’application de ce texte, notamment les compensations financières éventuelles des surcoûts résultant des obligations imposées aux FAI. Si ce dispositif semble opportun, l’étude d’impact correspondante n’en démontre pas l’efficacité, ni n’évalue précisément son coût global, tant en termes de compensation pour les FAI que de moyens pour les services de l’Etat« .
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