Le 20 août 2023, Angélique se crée un compte que le site Rencontre Ados, après en avoir entendu parler par une amie. Elle indique qu’elle a 13 ans sur son profil, et, « en 30 min, sans avoir mis de photos sur mon profil et sans chercher, j’ai eu 30 demandes d’amis », raconte-t-elle au téléphone à Numerama. Derrière ces profils, se rend-elle compte, il n’y a pas vraiment des adolescents, mais des hommes aux comportements prédateurs, dont un qui lui dit clairement n’être « intéressé que par les filles plus jeunes.»
Angélique n’a pas vraiment 13 ans : elle est mère d’une fille de cet âge. C’est pour cette raison qu’elle a décidé de mener cette expérience sur Rencontre Ados. Ce qu’elle y a vu est « édifiant » et « dégoûtant ». Elle prend la décision de partager son expérience sur son compte X (anciennement Twitter). Le thread devient viral, et de nombreuses personnes racontent avoir vécu des histoires similaires, il y a parfois plusieurs années. Le site Rencontre Ados serait un « nid à prédateurs », sans que rien n’ait jamais été fait.
Sur Rencontre Ados, l’ampleur du phénomène est choquante
Le nombre de profils de prédateurs a particulièrement choqué Angélique. Elle raconte avoir reçu, très rapidement après le début de leur conversation, des photos de la part d’un utilisateur, visiblement âgé d’une quarantaine d’années. Sur les photos (probablement modifiées) que Numerama a pu voir, l’homme se montre séducteur, muscles saillants et pantalon à moitié baissé. Ses intentions et ses messages sont clairs.
Une autre utilisatrice serait venue parler à Angélique, qui prétendait avoir 13 ans. Patricia, 17 ans, aurait rapidement amené la conversation vers la sexualité, lui assurant que « la priorité sur cette app, c’est le sexe ». Elle l’aurait également encouragée à avoir des relations sexuelles avec son père, assurant que ce dernier en avait probablement envie. « Ce qui m’a choqué, c’est l’ampleur du phénomène », raconte Angélique. Elle ressent « du dégoût, la situation est à gerber, mais surtout beaucoup de colère. Il y a aussi de la peur par rapport à ma fille », confie-t-elle.
Angélique n’est pas la seule à avoir eu une expérience ce genre sur Rencontre Ados. Une autre utilisatrice de X (qui, rappelons-le, est le nouveau nom de Twitter, et non un site pornographique) a également partagé des messages qu’elle a reçus sur le site après s’être fait passer pour une jeune de 13 ans. Un homme, âge de 35 ans, lui aurait proposé une relation sexuelle tarifée. Elle accuse Rencontre Ados « d’héberger des pédocriminels ». Des journalistes de FranceInfo ont également réitéré l’expérience, et ont reçu des demandes de nudes (photos dénudées), ou d’échange de « snaps coquins », confirmant l’ampleur du problème.
Des problèmes connus depuis des années
Créé en 2006, Rencontre Ados est loin d’être un nouveau site. Édité par une société belge, qui s’occupe également du site de rencontre pour adultes Nice Match et le site d’information Tech Actu, Rencontre Ados jouit d’une certaine popularité : selon SimilarWeb, le site recevrait près de 630 000 visites par mois. Il manque pourtant sévèrement de modérateurs, et les abus sont courants sur le site.
Sur Discord, où un serveur a été créé pour les utilisateurs du site, ils sont ainsi nombreux à ce plaindre du problème. « J’ai rarement vu un site avec autant de pédo au m2 », écrivait un utilisateur il y a plusieurs jours, avant que l’affaire n’éclate. D’autres messages sur le serveur indiquent que les utilisateurs sont habitués au manque d’action de la part de modérateurs sur ce problème.
Cela fait des années que le problème perdure. En 2021, Le Figaro consacrait déjà une enquête au problème des prédateurs qui infiltraient les sites de rencontre pour adolescents, et épinglait Rencontre Ado, tout comme BFMTV. Enfin, sur X, après le message d’Angélique, certains anciens utilisateurs du site ont raconté avoir vécu des expériences similaires. « J’ai moi-même utilisé le site […] pendant 2 ans environ quand j’étais ado. Le nombre d’hommes qui me contactaient était effroyable », raconte ainsi Alec.
Cela fait donc des années que le site est alerté. Rencontre Ados indique d’ailleurs clairement qu’il recrute des modérateurs. Angélique doute cependant que la démarche aboutisse. « Entre les jeunes filles de 13 ans qui sont sur le site, et les prédateurs, personne ne va le faire », regrette-t-elle.
Interrogé par FranceInfo, l’éditeur du site indique être « pleinement conscient de ce problème » (Numerama a également contacté l’éditeur de Rencontre Ados, mais le site n’avait pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article). « Actuellement, il faut être ami pour envoyer un message à un autre membre », précise-t-il. Il reconnait cependant « à 100 % » que le problème de l’âge persiste, et que rien n’empêche des hommes majeurs de rentrer en contact avec des mineures de 13 ans.
Rencontre Ados a pourtant des obligations légales
Rencontre Ados est pourtant responsable de la sécurité de ses utilisateurs. « L’éditeur d’un site internet est responsable des contenus et de ce qu’il met sur le site. Même si c’est de la mise en relation, il en va de sa responsabilité. S’il décide d’ouvrir ce site à des mineurs, il doit en contrôler les accès », indique Aurore Bonavia, avocate spécialisée dans droit du numérique. « Il faut en effet des bonnes conditions générales d’utilisation, des moyens techniques plus sécurisés, comme demander la pièce d’identité… il peut y avoir toutes sortes de contrôles mis en place, mais il en va de la responsabilité de l’éditeur du site ».
Il y a donc des manquements de la part de Rencontre Ados « S’ils ouvrent le site aux 13 – 25 ans, il faut qu’ils en assurent le contrôle, et pas simplement avec simple outil, il faut renforcer. C’est à eux de cadrer tout ça », tranche Aurore Bonavia.
La solution à mettre en place semble donc claire : mettre en place des contrôles de l’âge des utilisateurs. S’il n’y a pour l’instant aucune méthode officiellement conseillée en France pour vérifier l’âge, il existe de plus en plus de solutions en ligne — même si elles sont parfois polémiques, ou si elles sont contraignantes à mettre en place.
En tout cas, le contrôle de l’âge marche pour les sites de rencontres pour adolescents. BFMTV en parlait déjà dans son reportage de 2021 : le site AdoTolerant, destiné aux mineurs s’identifiant comme LGBTQI+, connaissait des problèmes similaires à ceux de Rencontres Ados, avec des hommes qui mentaient sur leur âge. Pour y remédier, chaque nouvel inscrit doit désormais se prendre en photo avec un code transmis par l’entreprise écrit sur une feuille. Une fois ce contrôle mis en place, le site aurait perdu une grande partie de son trafic, passant de 8 000 visites par jour à 2 500…
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