Mercredi soir, les députés ont adopté l’article 20 au projet de loi de réforme pénale, qui organise le contrôle administratif des retours sur le territoire français d’individus suspectés d’avoir été au contact d’organisations terroristes. Cet article contient une disposition voulue par le gouvernement, qui crée un dangereux précédent concernant Internet et le respect de la vie privée et de la liberté de communication.
Le texte adopté prévoit en effet que « le ministre de l’intérieur peut (…) faire obligation à toute personne [suspectée d’implication terroriste], dans un délai maximal d’un an à compter de la date certaine de son retour sur le territoire national, de (…) déclarer ses identifiants de tout moyen de communication électronique dont il dispose ou qu’il utilise, ainsi que tout changement d’identifiant ».
Selon une lecture extensive, il faudra fournir tous ses identifiants pour l’ensemble des services en ligne que l’on utilise sur Internet, de son compte Gmail à son compte Facebook en passant par ses identifiants Amazon, iCloud, Telegram, AdopteUnMec, WhatsApp, YouPorn, RueDuCommerce, GayVox ou Twitter. Selon une lecture plus restrictive, l’État désignera les seuls services qui l’intéressent, et la personne devra fournir ses identifiants correspondants.
Le fait de refuser de fournir de tels identifiants pourra être puni jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Qui est visé ?
En principe, cette mesure administrative, qui peut durer jusqu’à 6 mois, pourra être prise à l’encontre de « toute personne qui a quitté [ou tenté de quitter] le territoire national pour accomplir (…) des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes (…) dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ».
Mais s’agissant d’une mesure administrative et non d’une condamnation judiciaire, l’État n’a pas à démontrer par avance la solidité de ses accusations. Ses seuls soupçons, plus ou moins étayés par un faisceau d’indices, peuvent suffire, au besoin en présentant des notes blanches devant la juridiction administrative. Un athée sans histoire qui se rend à Istanbul ne sera vraisemblablement pas soupçonné, un musulman radicalisé déjà connu des services de renseignement qui prend un billet d’avion pour Ankara aura déjà plus de difficultés à son retour.
Quelle utilisation des identifiants ?
Le texte « serait une intrusion lourde dans la vie privée des individus, sans aucun contrôle », a protesté avec lassitude la députée Isabelle Attard, qui présentait un amendement visant à supprimer la disposition. « Par ailleurs, aucune précision n’est apportée quant à la destination et à l’utilisation des identifiants récoltés », a-t-elle fait remarquer.
Mais le gouvernement représenté par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve n’a voulu faire aucun commentaire, se contentent de demander, avec succès, le maintien de la disposition. On ne sait donc toujours pas ce que les services entendent faire des identifiants obtenus, ni s’il faut entendre le mot « identifiants » comme incluant les mots de passe (qui, techniquement, sont des « authentifiants »). Rien ne figure dans l’exposé des motifs du gouvernement, ni dans l’étude d’impact.
« Si l’on souhaite être efficace, il faut avoir les moyens de savoir où sont les gens », avait simplement expliqué en commission des lois le rapporteur du texte, Pascal Popelin (PS). En filigrane, il expliquait donc qu’il s’agissait de demander à ceux que l’on soupçonne d’être en lien avec des terroristes de dire par quels biais ils communiquent avec ces terroristes, et sous quelles identités numériques. Le tout pour mieux les surveiller.
Cette possibilité d’ordonner la communication des identifiants ne figurait pourtant pas dans l’avant-projet de loi préparé par Christiane Taubira que Numerama avait dévoilé en janvier dernier. Il a été ajouté par le gouvernement après la nomination de Jean-Jacques Urvoas place Vendôme.
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