C’est excessivement rare, si ce n’est pas une première, que des représentants des Nations Unies s’invitent très directement dans une affaire judiciaire. Pourtant, c’est bien aux côtés de très nombreux industriels et organisations de la société civile (dont Apple dresse la liste) que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a décidé de venir apporter à la firme de Cupertino son soutien très officiel, contre le FBI.
Totalement indépendant des états membres de l’ONU, le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour la protection et la promotion de la liberté d’expression et d’expression, David Kaye, a ainsi écrit (.pdf) à la juge californienne Sheri Pym, avec le soutien du Haut-Commissariat chargé de veiller au respect des traités en matière de droits de l’homme. Il demande à la magistrate de ne pas ordonner à Apple de supprimer la protection qui permettrait au FBI de découvrir le code de déblocage de l’iPhone 5C de l’auteur de la tuerie de San Bernardino, pour accéder en clair aux données chiffrées qui y sont stockées.
Pour David Kaye, la législation américaine ne permet pas à un tribunal de prendre une telle décision qui obligerait Apple, non pas à fournir des données qui sont en sa possession, mais à fournir son aide technique pour accéder à des données qui, normalement, ne doivent être accédées par personne d’autre que le propriétaire du téléphone.
La vie privée garantit la liberté de penser et de s’exprimer
Il rappelle que l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) n’autorise des restrictions à la liberté d’opinion — qui comprend celle de les dissimuler — et d’expression que si elles sont « expressément fixées par la loi ». C’est le même raisonnement, appuyé sur la Constitution américaine, qu’a eu le juge de New York qui a donné tort au FBI dans une affaire similaire.
Il peut paraître surprenant que l’auteur du courrier soit l’expert de l’ONU chargé de la liberté d’expression, et non celui en charge de la vie privée, Joe Cannataci, qui ait pris la plume pour soutenir Apple. Mais c’est parce que les droits de l’homme sont liés et interdépendants. Atteindre à la vie privée des individus pour aller sonder ce qu’ils pensent ou ce qu’ils se disent en privé, c’est inciter les individus à ne plus penser librement, ou à ne plus se parler librement.
Les débats sur le chiffrement et l’anonymat se sont bien trop souvent concentrés uniquement sur leur utilisation potentielle pour des desseins criminels
C’est pourquoi David Kayes avait déjà à plusieurs reprises exigé le respect du droit au chiffrement. L’expert, qui a été mandaté en 2014, est aussi un opposant farouche aux backdoors, auxquels peut s’assimiler la méthode demandée à Apple au FBI (non pas fournir la clé, mais faire en sorte que la serrure ne fonctionne plus). « Les gouvernements qui proposent des accès par backdoor n’ont pas démontré que l’utilisation criminelle ou terroriste du chiffrement serve de barrière insurmontable pour les objectifs d’application de la loi », avait-il critiqué dans un rapport contre les backdoors.
« Les débats sur le chiffrement et l’anonymat se sont bien trop souvent concentrés uniquement sur leur utilisation potentielle pour des desseins criminels dans des périodes de terrorisme. Mais des situations urgentes ne dispensent pas les Etats de leur obligation de s’assurer du respect du droit international des droits de l’homme »,
Un cadeau fait aux régimes autoritaires et aux pirates informatiques
L’initiative de David Kayes en faveur d’Apple est publiquement soutenue par la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, qui explique que « dans le but de régler un problème de sécurité relatif au chiffrement des données dans un cas bien précis, les autorités risquent d’ouvrir la boîte de Pandore, avec des implications qui pourraient être extrêmement dommageables pour les droits de l’Homme de millions de personnes, y compris pour leur sécurité physique et financière ».
« Un succès dans l’affaire contre Apple aux Etats-Unis établirait un précédent qui pourrait rendre impossible pour Apple ou toute autre société informatique internationale majeure de protéger la vie privée de ses clients partout dans le monde. Cela pourrait être un cadeau fait aux régimes autoritaires et aux pirates informatiques ».
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