À l’occasion de l’examen du projet de loi de réforme pénale, le nouveau ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a annoncé cette semaine aux députés que les juges d’instruction pourront très bientôt — et enfin — bénéficier des dispositions du code de procédure pénale qui leur permettent, en théorie, de faire installer des mouchards sur les ordinateurs des suspects.
La disposition existe sur le papier depuis la loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), qui a créé en 2011 l’article 706-102-1 du code de procédure pénale. Celui-ci permet au juge d’instruction, « lorsque les nécessités l’exigent », de demander à la police judiciaire (PJ) de « mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques ».
Pas de demandes d’homologation jusqu’à maintenant ?
Mais en pratique, les keyloggers, rootkits et autres mouchards qui s’installent physiquement sur l’ordinateur du suspect ou qui peuvent être installés à distance (via un e-mail vérolé, par exemple) doivent être homologués par les services de sécurité de l’État. C’est l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui est chargée de tamponner les moyens technologiques qui répondent à ses critères, à la fois de discrétion, de fiabilité et de traçabilité des preuves collectées, et de sécurité pour les personnes ou entreprises mises sur écoute — il ne faudrait pas qu’un logiciel espion soit exploité par des tiers pour pirater un ordinateur à distance, voire pour injecter de fausses preuves ou en effacer.
Or à ce jour, quatre ans après l’adoption de loi Loppsi, les magistrats n’ont toujours pas vu l’ombre d’un outil qu’ils puissent prescrire. Mais « renseignement pris, s’il y a eu des difficultés c’est parce que les constructeurs n’ont pas demandé l’habilitation », a affirmé cette semaine le ministre Jean-Jacques Urvoas.
« Il n’y a pas eu suffisamment de demandes. Mais ça y est. Techniquement le sujet est derrière nous, l’offre s’est construite, les habilitations sont demandées. Les questions d’habilitations sont donc réglées ».
Les juges d’instruction devraient s’en réjouir, même s’ils ne seront peut-être pas convaincus par l’explication. Il paraît pour le moins curieux que des entreprises dont le chiffre d’affaires dépend de leur capacité à vendre leurs solutions n’aient pas fait jusqu’à récemment les démarches administratives qui leur permettent de vendre.
La crainte du recours aux hackers ?
L’explication est sans doute à chercher ailleurs. Le juge antiterroriste David Bénichou avait expliqué l’an dernier au lendemain des attentats de novembre 2015 que deux outils de mise sur écoute des ordinateurs avaient été certifiés par l’État, mais que le ministère de l’Intérieur s’en réservait l’exclusivité (pour le renseignement).
« Les services de renseignement monopolisent les outils et ne les mettent pas à notre disposition, par crainte de les voir divulgués. Ils ont pourtant une durée de vie très courte », avait-il regretté. Les magistrats demandaient donc, las, à pouvoir faire appel à des hackers privés. Or en terme de sécurité, c’est pire encore, sans parler des risques de nullité des procédures pénales assises sur des preuves collectées à partir d’outils dont le bon fonctionnement n’est pas garanti.
Si la demande a été entendue au Sénat dans un texte qui restera au placard, l’Assemblée s’est donc abstenue de l’intégrer à la loi de réforme pénale. L’amendement du député Éric Ciotti qui proposait ce même recours à des experts privés a été retiré, devant la promesse de Jean-Jacques Urvoas que la situation serait miraculeusement débloquée, par les demandes d’homologation qui arrivent enfin.
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