Depuis le temps que j’écris cette newsletter, je n’ai pas encore trouvé de méthode infaillible pour couvrir les évènements médiatisés de sexisme en ligne. Je crains d’être toujours dans la réaction. Je suis fatiguée des discours réglés comme du papier à musique, les personnes qui insultent, celles qui redécouvrent l’eau chaude tous les six mois, celles à qui on tend le micro uniquement lorsqu’il s’agit de dénoncer les violences dont elles font l’objet.
J’ai ressenti la même impuissance lors du GP Explorer 2 et du cyberharcèlement de la vidéaste Manon Lanza. L’évènement a été très critiqué pour son manque de protection de sa participante. On a pointé du doigt la responsabilité de son créateur, Squeezie, et commenté en parallèle sa fâcheuse habitude de mettre en avant surtout des hommes sur sa chaîne YouTube.
Cet article est un extrait de #Règle30. Notre newsletter est envoyée chaque mercredi, à 11h.
Jusqu’ici, on ne sort pas vraiment des schémas classiques. Sauf que, chose plus rare, Squeezie s’est exprimé à ce sujet. Il a d’abord pris la parole lors d’un live organisé trois jours après le GP Explorer 2, où il invitait sèchement les harceleurs de Manon Lanza à « aller se faire foutre« . Puis il a longuement répondu à un internaute qui le critiquait sur Twitter/X (note : ce message énervé a provoqué le harcèlement immédiat de la personne en question, ce que Squeezie aurait probablement pu prévoir, au vu de la taille de son audience).
On peut souligner que sur le fond, le vidéaste ne réagit pas à la principale critique formulée par des internautes, associations féministes et de lutte contre le cyberharcèlement : les réactions très tardives face à la haine reçue par Manon Lanza. Cela rappelle une précédente histoire de cyberviolences sur Twitch, le ZEvent de 2021, où la streameuse Ultia a subi de nombreuses attaques sans être publiquement défendue. À l’époque, elle avait elle-même demandé le silence sur cette affaire, « pour qu’elle s’étouffe ». Elle regrette aujourd’hui ce choix, comme elle l’explique à BFMTV : « Avec le recul, il aurait fallu que les organisateurs prennent position, direct. »
Avoir envie de changer les choses, ce n’est que le début
Dans son message, Squeezie soulève un point important : comment convaincre le grand public de lutter contre les cyberviolences ? La réponse du vidéaste serait de « donner envie de faire des efforts pour se déconstruire« , en opposition à ce qu’il voit comme une forme de radicalité militante et effrayante. Il se plaint aussi qu’en tant que personnalité publique, il ne pourrait jamais gagner : soit il en fait trop, soit il n’en fait pas assez.
À titre personnel, je comprends cette frustration (même si on ne peut pas mettre sur le même plan les critiques des féministes et celles des personnes sexistes, et que ce n’est certainement pas une excuse pour rester les bras croisés). Je crois aussi que cette tension est inévitable. Les cyberviolences sont un phénomène grave et massif, qui provoque logiquement beaucoup de colère. Surtout, elles ne sont pas un accident qu’on pourrait éviter avec quelques garde-fous et une médaille de bonne conduite. C’est tout un système politique à démonter.
C’est ce qu’expliquent très bien Ketsia Mutombo et Laure Salmona, cofondatrices de l’association Féministes contre le cyberharcèlement, qui viennent justement de sortir un essai intitulé « Politiser les cyberviolences« (éditions Le Cavalier Bleu). Les cyberviolences de genre sont un outil supplémentaire pour dominer les femmes et les personnes minorisées, les empêcher de s’exprimer, voire d’exister. Il y a des perdant·es, des gagnants, et donc des personnes qui n’ont pas intérêt à bouleverser l’ordre établi, même si on s’échine à leur « donner envie » avec pédagogie et bonne volonté.
Quant aux autres qui veulent quand même agir pour la cause, cela passe par assumer un certain malaise personnel. Vous profitez indirectement de ce système. Alors, on va vous engueuler. On va vous réclamer des efforts concrets. Vous allez devoir écouter les conseils et les critiques, même si certaines vous paraissent injustes. Il faudra parfois parler, et d’autres fois se taire. Car le but de ce processus n’est pas d’être confortable et plaisant, mais de vous retirer un peu de pouvoir. Avoir envie de changer les choses n’est que le début.
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