La liberté d’expression est-elle défendue avec autant de poids qu’elle le devrait face aux autres droits fondamentaux ? Sur son blog personnel, le responsable de la politique de respect de la vie privée chez Google, Peter Fleischer, pose la question en des termes inhabituels, mais intéressants :

Avec la prolifération des platesformes en ligne pour les contenus générés par l’utilisateur, les gens voient de plus en plus d’exemples où le droit d’une personne à la liberté d’expression peut violer le droit d’une autre à la vie privée, et vice-versa. Si j’uploade mes photos de vacances sur Internet, prises à partir d’un lieu public, et si elles vous montrent sur un transat au bord de votre piscine, est-ce ma liberté d’expression qui doit triompher sur votre droit à la vie privée, ou l’inverse ? Quoique vous pensiez, il y a déjà des milliards de photos telles que celle là en ligne qui sont accessibles publiquement.

Et la liberté d’expression et la vie privée sont tous deux des droits fondamentaux. Mais ces droits ne sont pas respectés, protégés ou contrôlés avec la même force. Il y a littéralement des milliers de bureaucrates spécialisés dans la protection des données en Europe dont le travail est de faire respecter les règles européennes de protection des données. Autant que je sache, il n’y a pas un seul fonctionnaire dans toute l’Europe dont le seul travail est de faire la même chose pour la liberté d’expression. C’est curieux, non ?

L’opposition entre les droits fondamentaux est toutefois une histoire classique. Chacun veut que ses intérêts priment. Les ayants droit aussi, aimeraient qu’on protège davantage leurs droits d’auteur (la propriété intellectuelle est considérée comme un droit fondamental) et un peu moins le respect de la vie privée des P2Pistes, ou un le droit à la présomption d’innocence. Pourtant, comme l’a rappelé la Cour Européenne dans son arrêt Promusicae, les états doivent trouver « un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux« . C’est le rôle des juges, comme l’a rappelé aussi le Conseil constitutionnel en France.

Or s’il y a besoin d’une CNIL européenne et d’une protection de la vie privée à tous les niveaux, plus encore que d’un garant de la liberté d’expression, c’est bien parce que la vie privée est le seul des droits fondamentaux en cause dont la violation ne peut pas être réellement réparée par un tribunal. Lorsqu’il y a besoin de réparation, c’est généralement que c’est déjà trop tard.

Toutefois on comprend l’agacement de Fleischer. L’homme a été condamné à de la prison avec sursis en Italie avec deux autres cadres de Google parce qu’une poignée de jeunes imbéciles avaient utilisé Google Video pour diffuser une vidéo humiliant un adolescent trisomique. La justice n’a vu que l’aspect « violation de la vie privée », et totalement ignoré les règles de liberté d’expression qui garantissent aux hébergeurs le droit d’héberger tout ce que souhaitent leurs clients, tant qu’ils n’ont pas été informés du caractère illicite de ce qu’ils hébergent. Dans ce cas, la justice italienne n’a visiblement pas su trouver l’équilibre entre les deux droits fondamentaux.

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