Mise à jour : Philippe Jannet, directeur du Monde.fr, nous explique pourquoi selon lui la version gratuite du site sera en fait plus riche qu’auparavant.
On le voyait venir depuis longtemps. En fait depuis l’appel du puissant Rupert Murdoch, qui a signalé l’an dernier à tous les grands journaux qu’il était temps de mettre fin à la gratuité de l’information sur Internet. Le Monde a ainsi annoncé qu’à partir du 29 mars, « et de façon progressive« , tous les articles du quotidien ne seront plus accessibles gratuitement sur le site du journal, mais réservés aux seuls abonnés. Les offres iront de 6 euros par mois pour la lecture sur Internet uniquement à 29,90 euros par mois pour une offre dite « quadriple play » qui permettra l’accès au Monde sur le site internet, sur iPhone et l’iPad, ainsi que l’envoi de la bonne vieille version imprimée sur du papier recyclé. « A partir du 29 mars, et de façon progressive, les articles du quotidien ne seront plus accessibles gratuitement sur le site, mais dans la zone abonnés. La zone en accès libre sera enrichie d’une vingtaine de contributions de la rédaction du Monde, produites spécialement pour Lemonde.fr« , explique le journal. Le fil des dépêches d’agence et les contenus déjà produits spécialement pour le site devraient rester librement accessibles, mais pas les articles publiés dans le journal papier, qui restent une part très importante de l’ensemble.
Confrontés à la chute du marché publicitaire, les journaux papiers se replient donc de plus en plus vers leurs stratégies d’antan en réservant la lecture de leurs articles aux seules paires d’yeux dont le propriétaire a payé la dîme. C’est la fin d’une époque commencée au milieu des années 1990, qui a vu les journaux mettre leurs articles en ligne à disposition de tous, avec plus ou moins de liberté. Le Monde, qui avait déjà expérimenté depuis de nombreuses années des formules d’abonnement donnant quelques privilèges (comme la création de blogs, l’accès aux archives ou à des infographies intéractives), devient le premier journal généraliste en France à fermer totalement la porte aux lecteurs occasionnels.
Financièrement, la décision est compréhensible. Le journalisme coûte extrêmement cher, notamment par l’effet d’une convention collective qui impose des seuils de rémunération déconnectés des réalités économiques de l’information en ligne gratuite. La publicité ne peut pas suffir à rémunérer les armées de journalistes qualifiés qu’un journal de référence exige. Et n’ayons pas peur de dire que c’est en partie la faute aux journalistes eux-mêmes, notamment lorsqu’ils exigent une rémunération complémentaire parce que leurs articles paraissent à la fois sur le papier et sur l’écran. Comme la musique, le journalisme subit lui-aussi une révolution industrielle, sans doute plus violente encore, qui oblige à une profonde remise en question du modèle économique, à tous niveaux.
En attendant, l’abonnement payant obligatoire va injecter rapidement beaucoup d’argent dans les caisses du Monde, qui en manque cruellement. Il va s’agir pour le journal d’une formidable bulle d’air. Le Financial Times, qui a montré la voie aux Etats-Unis, a convaincu plus de 125.000 internautes de s’abonner, alors qu’il n’autorise la lecture que de cinq articles par mois à ceux qui ne payent aucun abonnement. Le Monde n’en aura pas autant, mais sa perte d’audience sera sans doute plus que compensée par les paiements des abonnés. A court terme, Le Monde se sauve.
Mais sur le long terme, la stratégie sera-t-elle payante ?
Sans être affirmatifs, nous en doutons. Les jeunes internautes ont pris depuis quinze ans l’habitude de consulter gratuitement sur Internet tous les journaux. Non pas un seul journal, mais tous les journaux. On ne s’assoie plus le matin avec sa tasse à café dans une main et son quotidien dans l’autre. Aujourd’hui, les internautes consultent indifféremment Le Monde, Libération, Le Figaro, Presse Océan, Le Temps, Les Echos… pour eux, payer pour accéder à l’information est déjà une chose difficilement concevable. Mais en plus, payer pour ne lire qu’un seul et même journal, est totalement inimaginable. Ne parlons même pas de l’idée de s’abonner à plusieurs journaux, économiquement irréaliste. A cet égard, la proposition mutualiste de Libération était d’ailleurs plus pertinente.
Dans un premier temps, Le Monde devrait donc convaincre essentiellement ceux qui n’ont pas pris ces habitudes de lectures gratuites et aux sources multiples. Mais demain ? Le Monde qui ferme ses portes aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui et de demain, leur dit d’aller lire ailleurs les informations qu’ils retrouveront nécessairement sur d’autres journaux. Ceux qui sont prêts à se serrer la ceinture pour garder leurs portes ouvertes seront, en terme d’audience, les grands gagnants de demain.
Ils le seront d’autant plus que l’information n’est plus uniquement la lecture. C’est aussi le partage. Or qui ira partager sur Facebook et Twitter les articles que seuls les abonnés à la formule payante iront lire ? Qui, surtout, ira « retweeter » une information qu’il n’a pas pu lire ?
Beaucoup d’internautes auront, dès qu’ils verront un article du Monde qu’ils ne peuvent pas lire sans payer, le réflexe de chercher un article sur le même thème dans un autre journal gratuit. Google News, entre autres outils, les y aidera.
En remontant à la surface pour s’offrir une bulle d’air, Le Monde risque paradoxalement l’asphyxie. Et l’on craint que pour s’en sauver, comme a déjà commencé à le proposer Rupert Murdoch, les journaux ne s’associent dans un lobbyisme d’une ampleur inégalée pour protéger l’exclusivité de leurs scoops. Ils demanderont que le droit d’auteur ne protège plus seulement la matérialisation de l’information, mais l’information elle-même.
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