À la guerre, la première victime est la vérité, a-t-on coutume de dire. Le conflit sanglant entre Israël et le Hamas, déclenché le 7 octobre après l’incursion de plusieurs militants du mouvement terroriste sur le territoire israélien, illustre tragiquement cette réalité : les réseaux sociaux sont submergés de vidéos, de photos et de commentaires prétendant refléter la réalité de ce qui se passe dans la bande de Gaza.
Dans ce flot ininterrompu, on trouve des contenus authentiques, montrant les victimes des frappes israéliennes, déclenchées en riposte du massacre de centaines de civils qui s’est produit il y a une dizaine de jours. La violence des représailles est à la hauteur du choc causé par l’opération de terreur en Israël : à Gaza, les morts et les blessés s’élèvent à plusieurs milliers. De nombreux bâtiments ont été rasés et il y a déjà un million de déplacés.
Un flot ininterrompu de fausses publications
Déjà catastrophique, la situation à Gaza souffre également d’une désinformation massive depuis le début de la guerre. De nombreux cas ont été documentés depuis le 7 octobre, avec des images réelles, mais détournées, pour accentuer ou inventer un narratif sur ce qui se passe au Proche-Orient. Parfois, ce sont même des visuels complètement fictifs, à l’image de ces scènes prétendant montrer des hélicoptères israéliens abattus par le Hamas, alors qu’il s’agit d’un jeu vidéo.
On trouve également une exploitation intensive de contenus provenant d’autres conflits, en les faisant passer pour des séquences prises dans l’enclave palestinienne. En l’espèce, il apparaît que la guerre civile syrienne, qui ensanglante le pays depuis 2011, constitue une source majeure d’approvisionnement en médias. Ceux-ci sont massivement recyclés : c’est ce que prouvent, par exemple, Shayan Sardarizadeh, journaliste à la BBC, ou Syrie Factuel, un collectif francophone contre la désinformation sur la Syrie.
Un exemple avec une publication montrant un jeune enfant au milieu de décombres et de restes de bois carbonisés. Un message sur X (ex-Twitter) accompagné de la vidéo du mineur inclut une citation attribuée à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Puis, un autre commentaire, associé au ministère de la Santé palestinien, évoque 254 morts et 562 blessés au cours des dernières 24 heures.
Or, comme l’explique le journaliste de la BBC, s’il ne fait aucun doute qu’il y a une crise humanitaire en cours à Gaza et qu’elle suscite une vive et légitime inquiétude, ledit clip vidéo, visionné 700 000 fois, « n’a rien à voir avec le conflit ». C’est en fait une vidéo apparue pour la première fois en 2021 sur TikTok. Elle montre les dégâts d’un incendie dans un camp de réfugiés syriens près de la ville de Hanin, dans le nord du Liban.
Autre exemple, avec Syrie Factuel. Dans une vidéo, un enfant apparaît en larmes, en expliquant avoir perdu ses sœurs. Elles auraient été tuées par un bombardement de l’armée israélienne à Gaza. Or, cette séquence a pratiquement dix ans d’ancienneté : elle a été publiée sur le net en 2014. Or à l’époque, il n’était nullement question de Palestine. La scène concernait en réalité le conflit syrien et la responsabilité de ce drame revenait au régime de Bachar el-Assad.
Il existe bien d’autres images détournées et réutilisées. Syrie Factuel anime un long fil sur X à ce sujet, qui déconstruit plusieurs allégations — sur des bombardements (des frappes israéliennes prétendument à Gaza alors qu’elles viennent de l’armée syrienne sur l’une de ses villes, en 2021), sur des tirs de roquette du Hamas sur Israël (alors qu’il s’agit vraisemblablement d’une scène venant de Syrie, datée de 2020) ou sur des victimes.
La férocité de la guerre civile syrienne — où l’on a vu l’emploi d’armes chimiques ou de bombes au phosphore — est aussi recyclée dans le conflit entre Israël et le Hamas. Les scènes servent pour accuser l’armée israélienne de toucher des enfants. Des photos montrent des cadavres de mineurs, d’autres gravement brûlés. Dans les deux cas, ces morts et ces blessés sont survenus en Syrie. Pourtant, les victimes sont présentées comme palestiniennes et le bourreau, israélien.
De la désinformation aussi côté israélien
« Le détournement d’images du conflit syrien dans le cadre d’autres conflits au Moyen-Orient, notamment le conflit israélo-palestinien, est un motif récurent de manipulation », explique Syrie Factuel dans son fil. Cette désinformation n’est pas à sens unique. Du côté israélien aussi, des erreurs ou des manipulations ont été relevées et dénoncées.
Il a été établi qu’une vidéo censée montrer un militant du Hamas trancher la tête d’un jeune garçon est mensongère : c’est en fait un crime daté de 2016, commis par un groupe rebelle syrien. Idem à la TV israélienne, qui s’est trompée dans une séquence : des tirs censés être partis de Syrie vers Israël viennent en fait du Liban. Par le passé, Tel-Aviv a aussi utilisé à tort des images provenant du conflit en Syrie pour illustrer des tirs de roquettes du Hamas ou des interceptions anti-aériennes. En réalité, les scènes datent de 2018.
De nombreux autres cas sont décrits sur les réseaux sociaux et dans les médias — l’AFP liste plusieurs autres exemples. Une situation qui ne devrait pas s’arrêter à brève échéance : le conflit semble parti pour durer. Il est hautement plausible que d’autres images inexactes fleuriront dans les jours à venir sur le net, au milieu de séquences authentiques. Une réalité qui devrait, en principe, inciter à la plus grande prudence.
Ce n’est pourtant pas ce qui se passe, en témoigne l’affaire de l’explosion de l’hôpital à Gaza, qui a fait des centaines de victimes. Si la scène est, en l’espèce, authentique, les responsabilités ne parviennent pas à être attribuées avec certitude. Le Hamas a affirmé que c’était la faute de l’armée israélienne. De l’autre côté, on affirme qu’il s’agit d’un tir de roquette de l’organisation palestinienne Jihad islamique. Une enquête devra déterminer les faits. Mais elle n’ira jamais aussi vite que la viralité de la désinformation sur le net. C’est déjà presque trop tard.
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