Google n’est pas seulement un moteur de recherche, ni même une multinationale aux multiples services en ligne. C’est aussi une puissance diplomatique obscure, que le fondateur de Wikileaks Julian Assange avait décrit dans un livre passionnant publié en septembre 2014, When Google Met Wikileaks.
L’ouvrage racontait le rôle clé détenu par un personnage totalement inconnu du grand public, Jared Cohen, qui figure pourtant parmi les 100 personnalités les plus influentes identifiées par le magazine TIME. À seulement 35 ans, cet ancien conseiller diplomatique de Condoleeza Rice et d’Hillary Clinton au ministère des affaires étrangères du gouvernement est un spécialiste de l’anti-terrorisme et de la « contre-radicalisation », et un bon connaisseur du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud. C’est aussi, dans ce cadre, un militant de la défense des libertés sur Internet, qui aident à faire tomber les régimes autoritaires.
Cohen est à la tête de Jigsaw, anciennement appelé « Google Ideas ». Le rôle de cette filiale discrète est purement géopolitique, et vise à apporter un soutien aux opposants et à tout ce qui favorise notamment la liberté d’expression dans le monde, pour déstabiliser les régimes défavorables aux valeurs occidentales. Mais jamais Cohen ou Jigsaw ne le disent aussi nettement.
Mon équipe prévoit de lancer un outil pour encourager davantage de défections et donner confiance à l’opposition
Or la confirmation de l’agenda politique de Google et de sa filiale est venu dans un e-mail retrouvé dans les archives d’Hillary Clinton, qui ont fuité. On peut y lire un courriel envoyé par Jared Cohen le 25 juillet 2012, au cabinet de la secrétaire d’État. dans lequel l’homme informe la diplomatie américaine d’une initiative que Google Ideas s’apprête à lancer :
Objet : Syrie
Secrétaires-adjoints Burns, Jake, Alec,
Merci de garder ça pour vous, mais mon équipe prévoit de lancer un outil dimanche qui va traquer publiquement et cartographier les défections en Syrie et de quelles parties du gouvernement elles proviennent. Notre logique derrière ça est que bien que les gens traquent les atrocités, personne ne représente visuellement et ne cartographie les défections, dont nous pensons qu’elles sont importantes pour encourager davantage de défections et donner confiance à l’opposition.
Étant donné la difficulté à avoir des informations de Syrie en ce moment, nous réalisons un partenariat avec Al-Jazeera qui sera le premier propriétaire de l’outil que nous avons construit, traquera les données, les vérifiera et les diffusera en Syrie. J’ai attaché quelques visuels qui montrent à quoi ressemblera l’outil. Merci de garder ça vraiment pour vous, et faites moi savoir s’il y a quelque chose que nous devons prendre en compte ou auquel nous devrions penser avant le lancement. Nous pensons que ça peut avoir un impact important.
Merci,
Jared
De fait, Google a sorti cet outil de cartographie des défections, toujours visible sur le site d’Al Jazeera (mais désormais inactif). Sur le site de Google, l’outil est décrit de façon beaucoup plus neutre dans le courriel envoyé à l’administration américaine :
« Peu après le soulèvement en Syrie qui a éclaté en mars 2011, un flux régulier de soldats, de chefs militaires, et de responsables gouvernementaux a commencé à faire défection vers l’opposition. Lorsque les défections ont commencé à se produire, les gens se sont tournés vers les médias sociaux pour raconter leurs histoires. Dans de nombreux cas, des transfuges ont téléchargé des vidéos personnelles sur Internet pour annoncer leur changement d’alliance. Les informations associées à ces vidéos ont fourni les métadonnées nécessaires pour cartographier et suivre les défections, y compris le nom du transfuge, sa description, sa date de la défection et sa relation à l’organisation.
Google Ideas, Al Jazeera, MayNinth, Movements.org et Potato se sont associés pour développer une visualisation interactive des données qui utilisait ces vidéos et leurs données associées pour cartographier les reportages vidéo disparates de défections du régime syrien. »
L’histoire ne dit pas à quel point l’outil a pu aider à encourager à grossir les rangs de la rébellion, mais Google a clairement contribué, en toute connaissance de cause, à tenter de renverser un gouvernement. Et il est aussi, désormais, associé aux opérations qui visent à contrer la propagande de l’État islamique, qui se nourrit en Syrie des cendres laissées par la guerre entre le régime d’Assad et la rébellion.
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