Depuis quelques mois, le voile est progressivement levé sur un sujet longtemps resté tabou : l’impact des cycles menstruels dans la vie des sportives de haut niveau. Quelques athlètes se sont exprimées sur ce sujet de manière publique dernièrement, à l’instar de la championne de 800 mètres Rénelle Lamote.
Elle évoquait en juillet 2023 les difficultés supplémentaires rencontrées par les femmes en compétition lorsqu’elles ont leurs règles, ou plus récemment encore la triathlète Emma Pallant Browne qui revendiquait une photographie la montrant tâchée à l’entre-jambe en pleine course.
Mais au-delà de ces prises de parole salutaires dans les médias, la question des cycles menstruels et de leurs impacts sur la pratique des sportives est-elle vraiment bien prise en compte par les entraîneurs et les fédérations sportives ? Quel est l’impact de cet impensé scientifique et culturel sur les performances des sportives de haut niveau ?
Un « gender gap » conséquent dans les sciences du sport
Lorsque l’on s’intéresse aux avancées de la science au service de la performance sportive en France, on en vient vite à découvrir l’INSEP, l’institution historique chargée d’aider les fédérations et les sportifs et sportives à décrocher des médailles lors des compétitions internationales. C’est au sein de cet établissement, particulièrement mobilisé dans le cadre de la préparation pour les JO 2024, qu’un programme de recherche inédit en Europe a vu le jour : un programme intitulé Empow’Her, dédié à l’étude de l’impact des cycles menstruels sur les sportives de haut niveau.
Depuis 2021, ce programme porté notamment par la chercheuse en épidémiologie Juliana Antero est né de la volonté de mieux comprendre la physiologie féminine pour permettre aux femmes et minorités de genre sportives d’améliorer leurs performances. Une initiative particulièrement utile, car en la matière, le niveau de connaissances scientifiques reste encore étonnamment bas, en 2023 : « En sciences du sport, les études qui concernent exclusivement les femmes sont de l’ordre de 9 % tandis que celles consacrées exclusivement aux hommes est de l’ordre de 71 %, l’écart est énorme », rappelle Juliana Antero. Un « gender gap » scientifique conséquent, que la chercheuse s’est donnée pour objectif de résorber avec la mise en place de ce programme à l’INSEP.
Depuis deux ans, Juliana Antero et son équipe travaillent ainsi avec plus de 100 sportives de haut niveau, qui transmettent quotidiennement leurs données via une application, pour leur permettre d’établir et modéliser scientifiquement l’impact du cycle menstruel sur les performances sportives. Et les premières conclusions issues de ces observations soulignent la diversité des effets du cycle menstruel sur les performances sportives : « Ce que l’on a découvert c’est que le cycle hormonal peut avoir un impact négatif sur la performance, mais il peut avoir un impact positif », révèle la chercheuse Juliana Antero.
Pour certains profils hormonaux, les performances physiques seraient ainsi meilleures à certaines phases du cycle : « Il y a une tendance commune pour celles qui ont un cycle naturel, qui consiste à avoir une phase dans le mois où les sportives seraient en mesure de supporter plus de charges pendant l’entraînement. ». Il s’agit d’un gain d’énergie et de force chez certaines athlètes, que l’on explique par l’augmentation du taux d’œstrogène lors de certaines phases, notamment celle dite « pré-ovulatoire ». À l’inverse, d’autres périodes comme celle précédant la période menstruelle (dite « pré-menstruelle ») implique une baisse hormonale pouvant induire une baisse d’énergie.
Ces premières conclusions du programme Empow’her révèlent ainsi la complexité du cycle hormonal chez les femmes et les minorités de genre concernées par les menstruations, et les potentiels gains que ces sportifs et sportives pourraient en tirer, si ce paramètre était pris en compte dans la conception de leurs entraînements.
La sensibilisation et la formation des encadrants sportifs
Mais avant que ces connaissances scientifiques récemment acquises se diffusent au sein des organisations sportives, le chemin à parcourir semble encore long. La majorité des encadrants et des entraîneurs étant des hommes cisgenres (assignés hommes à la naissance, dont le genre correspond au sexe biologique), le sujet des cycles menstruels a longtemps été mis de côté, et les effets de ce tabou culturel se font encore ressentir. « Encore aujourd’hui, les entraîneurs prennent en compte ce sujet uniquement quand la nageuse vient les voir pour leur dire que ça ne va vraiment pas, lorsqu’elles demandent à réduire l’intensité. », explique Robin Pla, conseiller technique au sein de la Fédération Française de natation.
Malgré les avancées récentes sur le sujet, la communication reste encore difficile lorsque les sportives sont encadrées par des entraîneurs hommes : « Aujourd’hui, c’est moins un tabou qu’avant pour nous, les athlètes féminines », explique Ayodele Ikuesan, athlète olympique qui pratique la course de haut niveau depuis plus de 20 ans, « mais il faut qu’en face, les entraîneurs soient capables d’entendre et de prendre en compte ce sujet. ». Une prise en compte qui est encore loin d’être une évidence, comme l’explique cette jeune nageuse, en préparation actuellement pour les JO 2024 : « Mon coach est ouvert sur le sujet, mais lorsque l’on a des questions, il nous renvoie plutôt vers sa femme, une ancienne athlète de haut niveau, plus à l’aise pour en parler. »
Ce type de réaction semble ainsi témoigner — au-delà de la persistance d’une gêne peu compréhensible sur le sujet — du déficit de connaissance au sein des organisations sportives sur la question, où l’on continue à réduire le cycle menstruel au phénomène des menstruations exclusivement. Pour palier cette méconnaissance, certaines fédérations mettent en place des formations à destination des coachs, comme l’explique Rémi Duhautois, directeur du haut niveau de la Fédération Française de Natation : « C’est notre rôle d’expliquer aux coachs que derrière, il y a un vrai enjeu de performance. (…) L’objectif, c’est qu’à terme, ce soit normal pour les entraîneurs de parler de ce sujet, et qu’en face les athlètes femmes soient plus à l’aise pour en parler, face à un entraîneur qui maîtrise ces questions. ».
Les données récoltées dans le cadre du programme Empow’Her sont en ce moment en cours d’analyse au sein des fédérations partenaires du programme, et pourront être prises en compte ces prochains mois (si les athlètes le souhaitent) pour améliorer et ajuster les entraînements avant le début des Jeux Olympiques, en juillet 2024.
Mais les avancées de la science et la formation des encadrants sportifs ne peuvent être pensés en dehors d’une sensibilisation plus large du grand public, pour enfin sortir les cycles menstruels du registre strict de l’intime. Un travail que mène aussi de front Juliana Antero, avec son compte Instagram fempower_sportives : « Lorsque je regarde la communauté qui me suit sur Instagram, je me dis qu’on avance. Mais lorsque je vois les réactions outrées des internautes après la première étude qui a utilisé du vrai sang sur des serviettes hygiéniques, je me dis que le chemin est encore long ! », soupire-t-elle.
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