C’est un fait rare dans le monde des médias : l’un des plus grands sites d’information anglophones a décidé de retirer un document qu’il avait mis en ligne vingt ans plus tôt. Il s’agit d’un texte écrit par le terroriste Oussama Ben Laden, connu mondialement comme étant le commanditaire des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Le texte a été exhumé par plusieurs vidéastes, qui l’ont repris et diffusé sur TikTok depuis la mi-novembre 2023, poussant le Guardian à agir. Désormais, la page indique « Document retiré », ainsi qu’une brève explication : « Cette page contenait au préalable un document qui était une traduction de la Lettre Aux Américains d’Oussama Ben Laden, telle qu’elle avait été publiée en 2002 dans The Observer », peut-on lire.
Interrogé par le site 404media, un porte-parole du Guardian a expliqué que « cette retranscription, qui a été publiée il y a 20 ans, a depuis été très largement partagée sur les réseaux sociaux, sans son contexte original (…) nous avons donc décidé de le retirer et rediriger les lecteurs et lectrices vers l’article original qui contextualisait ce texte. »
La lettre du terroriste Oussama Ben Laden devient « virale » 21 ans plus tard
Sur TikTok, une recherche avec les termes « letter to america » montre des dizaines de vidéos qui mentionnent le texte de Ben Laden. Une vidéaste a, par exemple, recueilli 1,6 million de vues et 171 000 « likes » en 24h pour une vidéo de 38 secondes dans laquelle elle explique avoir lu cette lettre et enjoint d’autres à le faire : « Je ne verrais plus jamais la vie de la même manière », dit-elle face caméra. « Si vous l’avez lue, dites-moi si vous aussi, vous vivez une crise existentielle actuellement. »
La lettre a été rédigée en 2002 par Oussama Ben Laden, et republiée par The Observer, qui est une publication hebdomadaire britannique du groupe du Guardian. Le document avait été mis en ligne le 24 novembre 2002, un an après l’attaque terroriste la plus meurtrière commise sur le sol américain. Deux avions avaient notamment été détournés pour les faire s’encastrer dans les tours du World Trade Center. Au total, 3 000 personnes sont décédées.
Dans « Lettre à l’Amérique », le terroriste islamiste développe une rhétorique anti-Israël violente, assurant que « la création d’Israël est un des plus grands crimes » qui « doit être effacé ». Selon lui, les États-Unis, en tant qu’alliés, sont responsables de l’oppression subie par le peuple palestinien.
Un texte qui cristallise les tensions
Depuis que la guerre a débuté entre le Hamas et Israël après l’attaque meurtrière du 7 octobre, les réseaux sociaux jouent un rôle très important dans le partage d’informations, mais aussi dans la polarisation entre deux camps.
De nombreux jeunes utilisateurs partagent depuis des semaines des informations sur les bombardements d’Israël sur la bande de Gaza, qui ont, selon les chiffres du Hamas, déjà causé la mort de 11 000 Palestiniens, dont de nombreux enfants. Cela revient à une personne sur 200. Le 7 octobre, le Hamas a assassiné près de 1 400 Israéliens.
Bien que le texte de Ben Laden de 2002 ne parle logiquement pas de cette attaque de 2023, de nombreux utilisateurs et utilisatrices découvrent que le conflit israélo-palestinien était déjà au cœur des conflits mondiaux d’il y a plusieurs décennies.
«[La lettre] est devenue virale, pas parce que les gens sont d’accord avec les actions d’Oussama Ben Laden ou ses idéaux moraux, mais parce que cette lettre offre une nouvelle perspective concernant l’hypocrisie de l’Amérique, l’hypocrisie des nations coloniales, etc, et discute ouvertement des atrocités auxquelles le Moyen-Orient a dû faire face », a commenté l’auteur Frederick Joseph.
Le Guardian se dirige droit vers un effet Streisand
Depuis la suppression de la page web qui hébergeait la lettre de Ben Laden sans contextualisation par le Guardian, on a vu naître de nouveaux TikTok, cette fois trouvant « suspecte » cette disparition de contenus en ligne. « Pourquoi le Guardian a-t-il supprimé cette lettre aujourd’hui, et pas il y a deux ans ? », demande notamment une utilisatrice, dans une vidéo déjà vue 1,2 million de fois, illustrant ainsi le grand degré de confusion que peut générer la moindre décision liée au conflit en cours. « Le gouvernement américain essaie de l’effacer », assure un autre vidéaste dans une vidéo déjà vue plus de 116 000 fois.
Sur le web, on appelle l’effet Streisand le fait de supprimer un contenu dans l’espoir qu’il ne devienne pas viral, ce qui a pour effet de lui donner encore plus de visibilité. La démarche du Guardian a beau être justifiée par le média, la suppression du texte (au lieu d’y accoler, par exemple, un bloc de contexte en préambule) pourrait avoir un effet contre-productif sur le débat général et dans la guerre de l’information qui se joue aujourd’hui dans le conflit.
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