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J’ai d’abord appris la fermeture d’Omegle parce que des internautes étaient tristes. Née en 2009, cette plateforme de messagerie instantanée permettait à n’importe qui de discuter avec des inconnu·es. On s’y connectait, puis on était mis·e en relation avec quelqu’un d’autre à l’aide de sa webcam et d’une fenêtre de chat. Parfois, cela créait des conversations intéressantes et/ou amusantes. La plupart du temps, on y croisait des bandes d’ados hilares et/ou des hommes nus.
Malgré un regain de popularité en 2020, à l’occasion des différents confinements et de la pandémie mondiale, Omegle était surtout un symbole de la bizarrerie du web des années 2010. Son créateur, Leif K-Brooks, en avait conscience. Dans son message annonçant la fin de son site, il s’inquiète que « l’internet que j’ai toujours aimé puisse bientôt disparaître. À la place, on aura une version vaguement améliorée de la télévision, qui nous pousse à la consommation passive de contenus, sans possibilité de participer ou d’établir de véritables connexions humaines. »
C’était à peu près l’esprit des premiers messages que j’ai lus sur cette affaire : encore un vieux site victime de l’aseptisation et de la concentration du web autour des plus grosses plateformes. Quelques heures plus tard, on a appris les véritables raisons de la fin d’Omegle, seulement évoquées de manière très vague dans son message de clôture. Cela fait suite à une plainte en justice d’une ancienne utilisatrice, qui accuse le site d’avoir permis à un pédocriminel de lui soutirer des images et des vidéos à caractère sexuel. Elle avait alors 11 ans. La fermeture d’Omegle est le résultat d’un accord entre son fondateur et les avocat·es de la jeune femme, afin qu’elle abandonne ses poursuites.
« Dans le cas d’Omegle, il est impossible d’ignorer que les mauvais côtés l’emportaient sur les bons »
Beaucoup d’articles sur cette histoire ont rappelé, à juste titre, que la résurgence d’Omegle en 2020 s’était accompagnée de critiques sur la prolifération de prédateurs sexuels. Sauf que ces problèmes existaient dès les débuts du site. La plainte que je cite plus haut concerne des faits qui auraient débuté en 2014, à peine cinq ans après le lancement du service. Et ses quelques efforts de modération n’ont pas pu corriger ses défauts de base : il s’agissait d’une plateforme designée pour favoriser l’anonymat, sans possibilité de bloquer les internautes les plus jeunes, qui tolérait la nudité. « Moi aussi, je suis triste que l’internet d’avant soit en train de disparaître, cette époque enthousiasmante où plein de nouveaux réseaux sociaux se lançaient plutôt que de voir toutes les plateformes d’aujourd’hui tenter de ressembler à TikTok », écrit la journaliste américaine Katie Notopoulos pour le site Insider. « Mais dans le cas d’Omegle, il est impossible d’ignorer que les mauvais côtés l’emportaient sur les bons. »
Cette triste affaire est aussi un bon rappel de prudence concernant notre nostalgie sur le web. À une époque où plusieurs sites que l’on a connus et aimés ferment ou se détériorent, il est logique de regretter un temps où l’on s’amusait davantage en ligne. Quitte à oublier les nuances de nos quotidiens connectés d’alors. Je pense beaucoup à ce sujet depuis mon enquête sur les Skyblogs (vous pouvez toujours l’écouter chez Binge Audio par ici), il y a quelques années. À cette occasion, on m’a raconté des histoires tendres d’adolescence faite de GIFs pailletés et de police arc-en-ciel. J’ai aussi (re)découvert des affaires de cyberharcèlement et de violence en ligne, à peine modérées par la plateforme. Est-ce que je l’ignorais quand j’étais jeune, ou est-ce que je l’ai volontairement oublié, quand je suis devenue adulte ?
Je devance une critique qu’on me fait parfois avec cette infolettre : le concept de « web d’avant » dépendra évidemment de vos pratiques et de votre âge. J’ai grandi sur des forums mangas et les Skyblogs ; vous avez peut-être connu Usenet ou le Minitel ; ou au contraire, vous êtes plus jeunes que moi, et vous avez fait vos premiers pas en ligne sur Snapchat ou Musical.ly. Dans tous les cas, la question n’est pas de se demander si c’était mieux avant, ou même si c’était pire, mais ce qu’on regrette vraiment. Un web plus petit et moins dominé par les grandes entreprises n’est pas une protection magique contre la toxicité. Un web étrange où l’on riait davantage implique de réfléchir à qui appréciait cet humour, et qui en était éventuellement victime. Un web plus libre, mais pour qui ? On peut reconnaître que la violence s’est aggravée et a muté avec les outils technologiques, et aussi qu’elle a toujours existé sous d’autres formes. Peut-être que ce qui nous manque, finalement, c’est une époque où personne ne nous demandait de réfléchir à ces sujets difficiles.
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