On aurait presque envie de dire « dix sur dix » à la lecture de la tribune vibrante de Bernard Kouchner, publiée ce lundi sur LeMonde.fr. Le ministre des affaires étrangères y prend ses meilleurs accents de défenseur des droits de l’Homme, en se plaçant parmi les « tenants d’un Internet universel, ouvert, fondé sur la liberté d’expression et d’association, sur la tolérance et le respect de la vie privée« , contre « ceux qui voudraient transformer Internet en une multiplicité d’espaces fermés et verrouillés au service d’un régime, d’une propagande et de tous les fanatismes« .
Certes, écrit-il, « je ne partage pas la croyance naïve selon laquelle, par nature, une nouvelle technologie, aussi performante, aussi puissante soit-elle, fera partout nécessairement progresser la liberté« , mais « Internet, c’est surtout l’outil le plus formidable de mise à bas des murs et des frontières qui enferment« .
Même s’il n’est jamais nommé, l’ombre de l’exemple iranien est omniprésente dans la tribune du ministre des affaires étrangères, qui reproche au gouvernement d’Ahmadinejad ses actions contre Twitter, et plus globalement contre Internet. On sait que les Etats-Unis ont beaucoup soutenu Twitter lorsqu’il a semblé qu’il pouvait permettre de déstabiliser le régime iranien, et la France s’inscrit dans la même logique. La Chine aussi, et les attaques contre Google, transparaissent évidemment derrière les mots du très atlantiste Bernard Kouchner. Il avait pourtant, en début d’année, refusé de condamner la censure du net en Chine.
Il rappelle que 180 Etats ont reconnu lors du Sommet mondial sur la société de l’information que la Déclaration universelle des droits de l’Homme s’appliquait à Internet, mais il souhaite « la création d’un instrument qui permettrait, à un niveau international, de suivre les engagements pris par les Etats et de les interpeller quand ils manquent à leur parole« . Selon son comptage, une cinquantaine d’Etat ne respecteraient pas ces engagements.
De même, et c’est un point que nous avons régulièrement soulevé sur Numerama, le ministre des affaires étrangères souhaite l’adoption d’un « code de bonne conduite pour l’exportation de technologies destinées à censurer et traquer les internautes« . Un véritable rocher sur le jardin de Cisco, qui équipe la célèbre muraille de Chine numérique.
Enfin, Bernard Kouchner appelle à « donner une traduction juridique à l’universalité d’Internet, lui conférer un statut qui le rapproche d’un espace international, afin qu’il soit plus difficile pour les Etats répressifs d’utiliser l’argument de la souveraineté contre les libertés fondamentales« . C’est un « projet (qui) me tient à coeur« , écrit-il, en concédant qu’il sera « difficile à mettre en œuvre« .
Reste que sur le plan intérieur, la France ne s’est pas particulièrement distinguée par son amour d’un internet « universel, ouvert, fondé sur la liberté d’expression et d’association, sur la tolérance et le respect de la vie privée ». Entre la loi Hadopi justement sanctionnée par le Conseil Constitutionnel parce qu’elle violait la déclaration des droits de l’Homme, et son combat contre l’amendement 138 au Parlement européen, la loi sur les jeux en ligne qui prévoit de déréférencer des sites qui n’ont pas reçu l’homologation payante de l’Etat, le projet de loi Loppsi qui prévoit un filtrage des sites Internet selon un listing dressé par l’administration, ou un délit de simple usage de données permettant d’identifier un tiers… la politique intérieure française n’est pas franchement la plus exemplaire. Elle a d’ailleurs été critiquée par Reporters Sans Frontières, qui se garde d’habitude de trop critiquer la France.
On sourit, finalement, lorsque l’on lit Bernard Kouchner s’inquiéter de ce que « Internet peut se retourner contre le citoyen, devenir une source de renseignement redoutable« , et constater que « certains régimes se dotent de technologies de surveillance de plus en plus sophistiquées« . N’a-t-il pas lu comme nous la tribune – certes illisible – qu’avait publié l’été dernier dans le même journal le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, Frank Louvrier, qui se félicitait alors de la surveillance des internautes initiée par Hadopi, et qui semblait plaider contre l’anonymat ?
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