Mise à jour 20 avril 2010 : Voilà ce qui peut arriver lorsque l’on manque à l’éthique journalistique la plus élémentaire. Nos confrères de PC INpact rapportent que deux jours après la publication de cette tribune, l’eurodéputée Murielle Gallo a en a envoyé copie à « plusieurs » shadows » et des députés socialistes français qui n’ont rien à voir avec la commission des affaires juridiques« . Or Mme Gallo n’est autre que le rapporteur d’un projet de rapport très contesté sur les dangers de la contrefaçon numérique, dont les signataires de la tribune encouragent vivement l’adoption au Parlement Européen. On doute que l’eurodéputée a précisé, ce qu’avait oublié Libération, que les auteurs de la tribune sont ceux qui ont réalisé pour le compte d’un cabinet privé et sur commande d’un lobby co-présidé par le président de Vivendi, l’étude la plus alarmiste sur l’impact du piratage en Europe.
Article du 15 mai 2010: Alexandre Hervaud, journaliste du groupe Libération, nous fait remarquer en commentaire que l’article est visible, sans payer cette fois, sur le site Ecrans.fr. Un avertissement y est bien ajouté, alors que selon nos constatations, à 17h04 l’avertissement n’était toujours pas visible sur le site payant de Libération. Ce qui est paradoxal : ceux qui payent sont moins bien informés que ceux qui lisent gratuitement.
Faut-il vraiment s’abonner pour lire ça ? Libération, qui réserve la consultation de certains de ses articles à ses seuls abonnés qui payent au moins 6 euros par mois, publie pour ses clients une tribune qui affirme dès son titre que « le piratage détruit les emplois« . Le lecteur est prié de prendre l’analyse au sérieux, puisqu’il est bien marqué en en-tête que les auteurs de la tribune sont Patrice Geoffron, Professeur à l’université Paris-Dauphine, et Philippe Hardouin, économiste et consultant. Des gens visiblement sérieux et indépendants. C’est en tout cas ce que le lecteur peut croire s’il ne fait pas quelques recherches.
Or l’article démonté comme il se doit par nos confrères de PC Inpact est un concentré pur jus de propagande mensongère, qui accueille comme le messie la publication de l’infâme étude du cabinet TERA Consultants. Cette étude, rappelons-le, allait jusqu’à inclure l’industrie des transports dans les « industries créatives » pour racler les fonds de tiroirs et accentuer honteusement le nombre d’Européens que le piratage risquait de mettre au chômage d’ici 5 ans. Elle avait été commandée à TERA Consultants par la Chambre de Commerce Internationale, un groupement privé d’entreprises, et plus précisément par sa cellule anti-piratage co-présidée par Jean-Bernard Lévy, le président de Vivendi.
Il ne sert à rien de revenir sur le contenu-même de la tribune qui use et abuse des formulations destinées à ne laisser aucun doute sur le bienfondé des conclusions de l’étude. Les auteurs s’appuient sur elle pour fustiger « les intervenants dans ce débat [qui] continuent à nier cette réalité avec un acharnement inquiétant et peu digne de leur charge« , en particulier « quelques porte-voix du Parti socialiste au sein du Parlement européen« . La tribune n’est qu’un élément à verser au dossier du débat européen sur le très controversé rapport Gallo, qui cherche justement à dresser un tableau sévèrement noirci des dangers du piratage en France, et de l’importance de muscler la répression.
Après tout, même d’estimables professeurs d’Université et économistes peuvent se tromper et croire dur comme fer ce que dit le rapport. On ne peut pas leur en vouloir d’affirmer que les conclusions de TERA sont justes. Contrairement au commissaire européen Michel Barnier, les chercheurs et économistes ne portent ni la voie officielle de la France, ni celle de l’Europe.
En revanche, on peut en vouloir à Libération de publier une telle tribune sans la mettre en contexte, et surtout sans dire qui sont vraiment ses auteurs. Il n’y a pas le moindre « disclaimer », comme on dit en bon français. Il est incroyable qu’un journal qui se veut sérieux fasse payer à ses abonnés une telle propagande sur le rapport TERA, sans dire que les auteurs de la tribune sont pour l’un (Patrice Geoffron) directeur de l’étude et membre du cabinet TERA Consultants, et pour l’autre (Philippe Hardouin) contributeur au rapport dont il vante les conclusions. Il nous semble que ça n’est pas une petite information accessoire dont peuvent se dispenser les lecteurs de Libération. C’est au contraire un éclairage fondamental.
Il s’agit d’éthique, indispensable lorsque l’on prétend vouloir faire payer la lecture de tels torchons.
Ce manque d’éthique professionnelle est d’autant plus inadmissible lorsque le directeur de Libération Laurent Joffrin, qui prétend par ailleurs faire la leçon aux internautes, demande tour à tour à faire taxer les FAI et les moteurs de recherche pour financer cette presse-là qui veut continuer à vivre sans se poser la question essentielle de la qualité de son travail, et de l’éthique qu’elle se doit d’avoir vis-à-vis de ses lecteurs.
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