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La vie est un éternel recommencement. J’ai parfois l’impression d’être bloquée dans une roue de hamster. Alors, quand un·e abonné·e (merci Zenibuka !) m’a parlé d’une « intelligence artificielle influenceuse » qui a intéressé les médias la semaine dernière, ma première réaction a été de pousser un gros soupir. Aitana est la création d’une entreprise espagnole, The Clueless, qui dépend elle-même d’une société de communication. Elle se définit sur son site officiel comme « une agence de mannequins IA » et propose un portfolio « de personnalités virtuelles qui touchent de nombreuses audiences grâce à leurs identités, cultures et histoires.» Le compte Instagram d’Aitana a été lancé en juin 2023 et revendique déjà plus de 200 000 followers. Son contenu est pourtant assez banal, principalement des faux selfies en lingerie ou en maillot de bain. Elle publie aussi des images érotiques sur un concurrent d’OnlyFans.
Comme le rappelle Libération, à juste titre, Aitana est loin d’être la première « influenceuse IA », un titre un peu pompeux pour en fait décrire un projet mené par des personnes bien réelles, qui animent des comptes sur les réseaux sociaux grâce à des images générées automatiquement puis modifiées avec un logiciel de retouche classique. On peut notamment citer sa grande-sœur Lil Miquela, qui a émergé en 2016 et qui a longtemps entretenu le doute sur son existence réelle.
À l’époque, elle aussi avait provoqué pas mal d’articles, partagés entre la fascination et la panique. Était-ce l’avenir de la publicité en ligne ? La fin de l’influence ? Allait-on s’éprendre de fausses femmes et perdre tout contact avec la réalité ? Finalement, rien de tout ça n’est arrivé. Et aujourd’hui, avec l’amélioration significative des intelligences artificielles génératives et leur disponibilité auprès d’un large public, la mode des influenceuses virtuelles semble être relancée.
J’utilise le genre féminin à dessein : car Aitana et les autres avatars dans son sillage représentent en grande majorité des femmes, dans une vision très réduite de la féminité (jeune, fine, disponible à consommer pour les hommes). Ce n’est pas étonnant ni nouveau ; il y a quelques mois, je vous rappelais, par exemple, que les chatbots sont souvent genrés au féminin, parce qu’on associe plus facilement les femmes à la notion de service. Mais le phénomène actuel va plus loin, avec des créateurs qui assument ouvertement vouloir concurrencer les vraies femmes en ligne, voire les remplacer, elles et leurs affreux défauts.
Il est « plus facile » de travailler avec des influenceuses virtuelles, estime The Clueless
Les employés derrière The Clueless affirment, par exemple, que l’idée de lancer une influenceuse virtuelle aurait émergé après plusieurs déconvenues en travaillant avec des créatrices de contenus. « Elles ont des égos, des manies, ou elles veulent juste se faire beaucoup d’argent en posant », se plaint Rubén Cruz, cofondatrice de l’agence, juste avant de se féliciter qu’Aitana puisse engranger jusqu’à 10 000 euros de revenus par mois (aucun moyen de vérifier cette affirmation).
Cette citation a été largement reprise dans la presse, parce qu’Internet adore détester les influenceuses, ou plus généralement les femmes qui se mettent en avant. Je repense à cette déclaration de Magali Berdah lors de son récent procès contre plusieurs de ses cyberharceleurs, motivés par le rappeur Booba et sa croisade contre le monde de l’influence : « Il insinue que je représente la culture du vide, mais je préfère incarner cela plutôt que la violence. »
Le paradoxe étant qu’internet adore aussi regarder les femmes. Ce sont elles qui excitent, qu’on met dans des publicités, qui décident de ce qui est cool ou non (j’aime la théorie du journaliste américain Ryan Broderick, qui suppose que la Silicon Valley est jalouse du pouvoir de prescription des adolescentes). Et c’est là où, personnellement, je ne suis pas trop inquiète de la tendance des influenceuses virtuelles. Un contenu publié sur les réseaux sociaux est toujours une forme de fiction sur laquelle on projette des émotions, qu’il s’agisse de l’œuvre d’une femme en chair ou en os ou d’un avatar contrôlé par une startup. Il est probablement sain de se rappeler que tout est faux. La question est plutôt de savoir qui veut exploiter le pouvoir de communication des femmes en ligne, et dans quel but. On craint les influenceuses, virtuelles ou non, et leurs mensonges. Mais qui cherche vraiment à vous arnaquer ?
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