C’est désormais presque une certitude (mise à jour : voir le démenti de l’Hadopi), la liste des fonctionnalités pertinentes que doivent présenter les moyens de sécurisation imposés aux abonnés par la loi Hadopi ne sera jamais publiée. Nous avions déjà compris que les premiers courriels d’avertissement seront envoyés sans attendre la labellisation des logiciels de sécurisation, en contournant l’esprit de la loi. Puis le secrétaire général de l’Hadopi Eric Walter a jugé plus récemment que de toute façon, le débat sur la publication des normes techniques des logiciels de sécurisation était « un peu hyprocrite« .
« Il existe de nombreux outils, connus, pour sécuriser son accès: logiciels de contrôle parental, pare-feu, clés WEP pour les accès Wi-Fi…« , expliquait ainsi Eric Walter. Il n’évoquait plus le rôle des fonctionnalités pertinentes en tant qu’impératifs à suivre, mais comme de simples « moyens » de « rapprocher les produits existants de nos objectifs« .
Et tant pis si la loi parle pourtant à l’article L331-26 du code de propriété intellectuelle des « spécifications fonctionnelles pertinentes que ces moyens » de sécuriation « doivent présenter« . Pourquoi s’embarrasser à respecter la loi lorsque l’on chasse ceux qui ne la respectent pas ?
Finalement, l’idée-même de proposer une liste de fonctionnalités pertinentes aurait été abandonnée. L’Hadopi va laisser le secteur privé proposer leurs logiciels, à l’image de celui d’Orange, sans dire aux internautes quelles solutions sont préférables.
Nous avions expliqué dès 2008 dans nos 10 bonnes raisons de rejeter la loi Hadopi deux raisons qui selon nous posaient problème à la définition administrative des fonctionnalités que devraient avoir les moyens de sécurisation, exigés par la loi pour s’immuniser contre l’Hadopi :
2. Elle crée une présomption irréfragable de culpabilité
La loi impose aux abonnés à Internet de protéger leur accès à Internet, par exemple en utilisant les moyens de filtrage proposés par leurs FAI, et dont la liste sera communiquée par la Haute Autorité. Mais comment un abonné qui a mis ces moyens de filtrage en place pourra-t-il prouver sa bonne foi s’il est accusé du contraire ? Comment prouver qu’à une heure donnée, un jour donné, le mécanisme de filtrage était bien activé sur l’ordinateur de l’accusé ? Ca n’est plus la présomption d’innocence qui préside, mais une présomption de culpabilité qui ne pourra en aucun cas être renversée. La loi Hadopi bafoue les droits de la défense en feignant d’ignorer que ces droits, dans les faits, ne pourront jamais être exercés.
(…)
4. Elle interdit même le P2P légal
Il n’existe et ne peut exister aucune base de données des œuvres protégées par les droits d’auteurs. Donc le père de famille qui veut sécuriser son accès à Internet conformément aux obligations disposées par la loi Hadopi devra bloquer l’ensemble du P2P sur sa ligne, car aucun filtre ne pourra bloquer uniquement les téléchargements et uploads d’œuvres protégées. De fait, c’est donc l’ensemble du P2P légal qui est mis au banc par le projet de loi. Il y a fort à parier qu’en plus, les FAI qui devront communiquer une liste d’outils de filtrages « efficaces » proposeront des outils qui bloquent automatiquement tous les logiciels d’échange comme eMule, BitTorrent et consorts.
Avec son logiciel de contrôle du téléchargement, Orange nous donne raison sur les deux points. Tout d’abord, il interdit effectivement toute utilisation des réseaux P2P, même légale. Un abonné d’Orange qui utilise le logiciel anti-téléchargement ne pourra pas par exemple utiliser correctement notre service de téléchargements, qui fournit légalement des milliers de logiciels gratuits par eMule. Il ne pourra pas non plus télécharger les documents mis à disposition par le gouvernement britannique sur BitTorrent, ou les albums de groupes comme Nine Inch Nails qui utilisent les réseaux P2P.
Sur la présomption de culpabilité, le logiciel d’Orange créé un journal qui enregistre la date et l’heure à laquelle le logiciel a été lancé, ou désactivé. Même si l’opérateur ne le dit pas clairement, ce journal est destiné à être présenté comme élément de bonne foi devant l’Hadopi, en cas d’avertissement. S’il apparaît sur le relevé que le logiciel avait été activé avant le téléchargement supposé, et désactivé après, il devrait être innocenté. « N’importe quel abonné concerné pourra faire valoir ses observations par courrier, téléphone, mail, etc. (…) Toute personne prise dans les filets du système doit pouvoir faire valoir ses observations« , rassurait ainsi Eric Walter. « On ne part pas du principe que tout le monde est coupable« , ajoutait-il, mais ça sera bien au coupable présumé de prouver qu’il est innocent.
Or faute de labellisation, on ne sait pas si l’utilisation du logiciel d’Orange facturé 2 euros par mois sera une garantie suffisante devant l’Hadopi.
Si ça ne l’est pas, alors l’Hadopi devra expliquer pourquoi, et donc se risquer à avancer des explications sur les fonctionnalités pertinentes qu’elle refuse pourtant de définir.
Si ça l’est, alors c’est probablement que le logiciel d’Orange sera dans les faits une assurance juridique et un permis de télécharger librement à 2 euros par mois.
Il y a sans doute parmi vous de meilleurs experts en ingénierie réseau, donc nous sollicitons vos lumières. Un abonné qui installe et laisse en permanence activé le logiciel d’Orange sur un ordinateur (ou une machine virtuelle) peut-il télécharger avec la même adresse IP, depuis un autre ordinateur, sans que l’Hadopi puisse démontrer que ça n’est pas l’ordinateur « protégé » qui a été utilisé ? L’adresse MAC, par exemple, peut-elle être relevée lors des téléchargements sur les réseaux P2P (ce qui n’est pas prévu dans le décret du fichier de l’Hadopi), et si oui est-il possible d’utiliser tout de même l’adresse MAC de l’ordinateur « protégé » ?
Si l’installation et l’activation du logiciel d’Orange est une garantie suffisante pour l’Hadopi, alors concrètement Orange vient d’inventer l’assurance anti-Hadopi à 2 euros par mois. Moins cher qu’un VPN ou une carte musique jeune. Avec en plus l’avantage suprême : les parents seront ravis de voir leur enfant suggérer l’installation d’un logiciel de sécurisation sur le PC familial.
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