On n’a pas fini de découvrir les failles de la loi Hadopi et de son application. Lors de son audition par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, la présidente de la Commission de protection des droits (CDP) de l’Hadopi s’est félicitée de l’originalité du mécanisme prévu par le législateur, en assurant implicitement qu’elle évitait les lourdeurs de l’administration judiciaire :
Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, la CPD est le contraire d’un radar automatique. Un radar automatique constate des faits, et cela débouche sur une sanction. Ici, le législateur a voulu – et ne voyez là aucune outrecuidance de ma part – qu’à tous les stades de la procédure, la CPD » puisse » envoyer le premier avertissement, puis la deuxième lettre, et enfin transmettre le dossier au parquet. Mais si la CPD » peut « , elle peut aussi » ne pas « . L’intervention de la CPD elle-même est donc un élément constitutif de l’infraction de négligence caractérisée. Autrement dit, le législateur a laissé à la CPD l’opportunité des poursuites. C’est assez nouveau en droit pénal.
Nous ne sommes pas ici dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale : la CPD n’a pas l’obligation de dénoncer les faits au parquet. La loi lui impose seulement de délibérer avant toute transmission au parquet.
Mais ça n’est pas tout à fait vrai.
Cet article 40 du code de procédure pénal dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs« . La Hadopi se croit à l’abri de cette disposition parce que le décret sur la négligence caractérisée, d’une « étonnante subtilité » selon la présidente de la CPD, fait de l’intervention de la CPD un élément constitutif de l’infraction de « négligence caractérisée ».
C’est vrai, sauf que pour étayer ses soupçons de négligence caractérisée, l’Hadopi doit obligatoirement constater d’abord « une utilisation de (l’abonnement à Internet) à des fins de reproduction, de représentation ou de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise« . Or cette utilisation, qualifiée de contrefaçon, est elle-même un délit passible de 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende.
A chaque fois qu’elle reçoit un relevé d’adresses IP sur lequel apparaissent des contrefaçons réalisées sur les réseaux P2P, la Commission de protection des droits a donc l’obligation, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénal, d’en notifier le parquet, qui doit décider des suites à donner et aviser les victimes. Il y a la contrefaçon d’un côté, et la négligence caractérisée de l’autre. Or ne pas notifier la contrefaçon au procureur sous prétexte qu’il n’y a pas négligence caractérisée serait une violation du code de procédure pénale. Avec 50.000 IP par jour annoncées par les ayants droit, c’est potentiellement 50.000 infractions par jour au code de procédure pénale que s’apprête à commettre l’Hadopi.
Mais transmettre 50.000 infractions chaque jour au Procureur de la République, ça serait faire peser une charge beaucoup trop lourde à la fois sur l’Hadopi et sur la Justice. Il a donc été décidé de fermer les yeux, et de prier très fort pour que ça ne se voit pas trop…
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