Incroyablement coûteuses, juridiquement très fragiles, la riposte graduée et l’Hadopi n’auront sans doute aucun effet sur le piratage. Elles vont en revanche contribuer à creuser plus encore le déficit public, et les ressources des ayants droit. Il est encore temps de mettre fin à cette ligne Maginot qui sera rapidement contournée par les internautes.

Jeudi, nous rapportions que le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) avait chiffré à 420.000 euros par an le coût de la collecte des adresses IP sur les réseaux P2P. Pour ce prix, le syndicat du jeu vidéo peut s’offrir la collecte de 25.000 adresses IP par jour, ce qui est beaucoup, mais pour seulement 100 titres à surveiller. Sans doute suffisant pour l’industrie du jeu vidéo, où les productions à télécharger sont peu nombreuses, mais très insuffisant pour l’industrie de la musique où le nombre de fichiers MP3 à « protéger » est gargantuesque.

« Pour l’industrie du disque, ça ne sont pas 100 titres qui seront surveillés…. mais 10.000 titres. Et 50.000 adresses IP collectées par jour sont annoncées. On imagine la note beaucoup plus salée encore« , écrivions-nous hier. Confirmation ce matin, par Le Nouvel Observateur. Le magazine a interrogé Marc Guez, le directeur général de la Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP), qui concède que « cela nous coûte beaucoup plus cher » que le SELL. « Plusieurs millions d’euros« , avoue-t-il.

Marc Guez confirme ce que nous disions des coûts faramineux engendrés par l’obligation faite à la société TMG de télécharger des bouts de fichiers pour s’assurer de ne pas collecter des adresses IP innocentes. « Nous avons adopté des contraintes techniques lourdes destinées à éviter tout risque d’erreur sur les adresses collectées et pour avoir une couverture géographique nationale« , indique-t-il pour justifier des coûts de collecte qui sont néanmoins « plus bas par rapport aux coûts des systèmes comparables dans les autres pays européens« .

Aux millions d’euros de collecte des adresses IP, il faut en plus ajouter le coût de fonctionnement de la Hadopi estimé cette année à plus de 10 millions d’euros, et le coût d’identification des abonnés suspectés. Or actuellement, comme nous l’a confirmé la Fédération Française des Télécoms, la question des « compensations financières et leurs modalités » doit toujours être discutée avec le gouvernement. La loi actuelle impose un dédommagement de 8,5 euros par adresse IP à identifier, soit 425.000 euros par jour rien que pour l’identification des 50.000 adresses IP promises par l’industrie musicale, et les discussions ne semblent pas avancer d’un iota depuis plus de deux ans.

Ce sont là des fortunes englouties dans la construction d’une ligne Maginot numérique. Pour préparer la guerre, l’Etat avait investi selon des historiens environ 2,5 milliards d’euros dans sa construction, ce qui n’a pas empêché la France de perdre la guerre en voyant cette ligne détournée par les Allemands (c’est peut-être pour ça que les pirates avaient été comparés à des nazis par Maxime Le Forestier…). Or si l’Hadopi est « techniquement prête » à envoyer ses mails, les internautes sont eux aussi aussi « techniquement prêts » à les éviter en passant par des méthodes de téléchargement à l’abri des chasseurs de pirates.

Tout ça pour quoi ?

Pour un mécanisme de riposte graduée qui violera la présomption d’innocence puisque ça sera à l’abonné d’apporter la preuve qu’il a sécurisé son accès à Internet, et qui sanctionnera l’internaute qui n’a pas sécurisé efficacement son accès à Internet, sans lui dire comment le protéger. Mais qui, pour éviter ces accrocs, évitera soigneusement d’aller au delà du simple avertissement par mail, puisque celui-ci n’ouvre droit à aucun recours en annulation devant une juridiction (quoique sur ce point, notre petit doigt nous dit que certains attendent de pieds fermes les premiers avertissements, et notre petit doigt est très bien renseigné).

Enfin du point de vue purement budgétaire, en temps de rigueur, quel sera le rapport coût/bénéfice de la riposte graduée pour l’Etat ? Sans même parler du coût de l’identification des adresses IP, si l’Etat dépense 10,5 millions d’euros cette année pour le budget de l’Hadopi, il faudra un retour sur investissement d’au moins autant en recettes fiscales pour ne pas creuser le déficit public. Lorsqu’il est vendu 0,99 euros, un MP3 rapporte 16 centimes de TVA à l’Etat. Pour compenser les 10,5 millions d’euros de budget de l’Hadopi, il faudra vendre plus de 65 millions de fichiers musicaux cette année, en plus de ceux qui auraient de toute façon été achetés sans l’Hadopi. Si l’on ajoute les 25 millions d’euros par an que l’Etat entend dépenser dans la Carte Musique Jeune, c’est 222 millions de fichiers MP3 supplémentaires qu’il faut vendre. Et si l’on ajoute le coût des compensations financières à accorder aux FAI, le calcul devient surréaliste.

Il n’est pas trop tard pour faire marche arrière. Mais plus le gouvernement et les ayants droit s’entêteront, plus il deviendra difficile de se désavouer et de déconstruire un monstre administratif dont on ne saura plus quoi faire.

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