Hier, nous décortiquions à travers deux actualités distinctes le dernier bilan 2009 du Syndicat national des producteurs phonographiques (SNEP). Dans celui-ci, nous avions relevé d’une part la grande satisfaction du directeur général du SNEP vis-à-vis de la promulgation de la loi Hadopi (entre autres choses) et d’autre part nous avions remarqué que le SNEP avait repris stricto sensu les conclusions d’une étude particulièrement controversée du cabinet d’analyse Tera Consultants.
Or, il semble que le document intitulé « guide de l’économie de la production musicale » recèle d’autres pépites. En effet, un de nos lecteurs – « Mr Faxanfigueurs » – a été interpellé par les étranges chiffres avancés par le SNEP – et donc par Tera Consultants – à propos du nombre de personnes employées par les industries de la création. Selon le rapport (page 25 du document), pas moins d’un million d’individus (8,5 millions dans l’Union européenne) auraient été employées par ce secteur en 2008.
Un million de personnes en 2008 ? Comme c’est étrange. Pour cette même année, Christine Albanel indiquait un tout autre chiffre : 500 000 salariés. L’ancienne ministre de la culture et de la communication avait indiqué ce chiffre dans un communiqué de presse pour contrer les propos de l’eurodéputé Guy Bono. Nous apprenions alors que « les industries culturelles […] représentent près de 500 000 emplois dans notre pays« .
°videmment, il s’est rapidement avéré que ce chiffre était complètement faux. Ironie du sort, c’est le propre ministère de Christine Albanel qui infirma par mégarde ces informations, dans un document daté de 2006. À l’époque, le document était encore disponible sur le site du ministère de la culture, mais curieusement, il a disparu depuis (du moins, le lien que nous avions proposé en 2008 n’est plus actif).
Cliquez sur l’image pour la voir en grand :
Cependant, grâce à la magie d’Internet, le document PDF est désormais accessible sur un autre lien (.pdf), aimablement fourni par Mr Faxanfigueurs. Dans celui-ci, nous apprenions que le champ des industries culturelles regroupait près de 157 000 emplois. Un chiffre (page 14 du document, chiffres de 2003) déjà important dans la mesure où il concernait des domaines plus ou moins variés comme les agences de presse (6 600 personnes), l’édition papier (7 000 personnes) et même la publicité (100 000 personnes).
En réalité, en s’en tenant au sens « classique » de la l’industrie de la création, le secteur regroupait au maximum 70 000 salariés, avec une répartition comme suit : 65 000 emplois pour l’audiovisuel et 5 500 pour l’édition phonographique. À l’époque, notre lecteur avait tenté de gratter au maximum pour essayer d’approcher les chiffres avancés par le ministère de la culture : « même en ajoutant l’intégralité des comédiens et des musiciens, on arrive péniblement à 120.000 ou 130.000 emplois plus ou moins concernés par le piratage« .
Ce n’est déjà pas tout à fait le même nombre que les données avancées précédemment. À supposer que le piratage détruit effectivement des emplois, ce serait donc – toujours en théorie – 70 000 emplois (ou 130 000 en tapant large) potentiellement menacés, et non pas 157 000, 500 000 ou un million. Par ailleurs, si depuis 2003 (date des chiffres présentés dans le document du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS)) certains secteurs ont très certainement embauché, on reste circonspects sur un niveau de recrutement atteignant 500 000 ou un million de personnes.
Car en effet, le cabinet Tera Consultants va encore plus loin. Alors que Christine Albanel avait avancé le chiffre de 500 000 emplois (trois fois supérieur aux données du DEPS), l’enquête de Tera Consultants évoque le chiffre d’un million d’individus. À nouveau, le document intègre la publicité dans le calcul global. À première vue, ce secteur est rarement associé à la création, du moins pas au sens habituel. D’ordinaire, la création concerne plutôt des domaines comme la création de films, de musique, de livres ou même de séries TV. Mais admettons.
Si nous retirons de ce chiffre total (un million) les 157 000 emplois créés par l’industrie de la création et les 100 000 personnes employées par la publicité, selon le ministère de la culture et de la communication, nous nous retrouvons avec un chiffre de 743 000 dont nous ignorons la provenance. Certes, comme indiqué plus haut, des embauches sont certainement survenues, mais dans ce cas, il faut imaginer d’autres situations : départs à la retraite, reconversions, licenciements…
Selon Mr Faxanfigueurs, un élément ne figurait pas dans les estimations du ministère de la culture et de la communication : il s’agit des activités liées à la distribution de disques. Mais bien évidemment, difficile d’imaginer que ce domaine occupe 743 000 emplois. Car en effet, le « commerce de détail » – qui englobe les activités de distribution de disques – concerne 1,72 million de salariés (selon un document (.pdf) sur les PME produit par le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi).
Pas sûr que 743 000 emplois sur 1,72 million (c’est-à-dire près de 43 %) de salariés travaillant dans le commerce de détail évoluent dans des activités liées à la distribution de disques. Car si le piratage est aussi dévastateur que l’affirment les industries culturelles, cela laisserait penser que près de la moitié de ces emplois sont menacés. Ce qui est loin d’être démontré.
Pour Mr Faxanfigueurs, « ce chiffre décrédibilise complètement non seulement l’étude, mais ce cabinet tout entier. Il ne s’agit pas en effet d’hypothèses (par définition pifométriques, donc excusables dans leurs excès) mais de chiffres sur l’état des lieux visiblement bidonnés« .
Et de finir sur une pointe d’humour : « En tout cas, TERA fait preuve de créativité comptable et mérite donc d’être comptée au nombre des entreprises du secteur créatif« .
Cela étant, il faut rappeler la façon dont est né le rapport de Tera Consultants. Ce document avait été commandé par la section BASCAP (Business Action to Stop Counterfeiting and Piracy, un nom qui ne laisse pas vraiment de place à la nuance) de la Chambre de Commerce Internationale (CCI). Or, cette chambre est justement présidée par un certain Jean-René Fourtou, le président du conseil de surveillance de Vivendi.
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