Cet article est un extrait de la newsletter #Règle30. Elle est envoyée à 11h chaque mercredi.
L’histoire commence comme une caricature de post LinkedIn. Lassé de ses échecs successifs sur les applications de rencontre, un développeur russe programme un bot grâce à ChatGPT pour parler à des femmes à sa place sur Tinder. Il finit par rencontrer sa future épouse avec ce système, après 5 239 conversations auxquelles il n’a pas participé et, tout de même, 100 rencards physiques. Mon collègue Marcus Dupont-Besnard, qui nous raconte cette étrange épopée pour Numerama, souligne bien ses enjeux éthiques troubles, à commencer par le fait que les femmes qui ont discuté avec le bot n’étaient pas au courant qu’elles échangeaient avec un logiciel.
Même si cette histoire est un cas extrême, elle s’intègre plus généralement dans le phénomène de l’automatisation des rencontres en ligne, avec l’éclosion de logiciels destinés à faciliter les échanges entre partenaires potentiel·les.
Comment écrire une bio intéressante, choisir la meilleure photo, trouver la phrase d’accroche la plus amusante, et même répondre aux messages que l’on reçoit ? Dans un article dédié à cette nouvelle industrie, publié l’année dernière, le Washington Post théorise qu’il s’agit d’une évolution logique, dès lors qu’on s’habitue à un certain niveau de fluidité numérique au quotidien. « Les mails peuvent s’écrire tout seul, nos abonnements se renouvellent sans intervention, tous les produits imaginables peuvent être achetés en un clic. À l’inverse, les applications de rencontre demandent beaucoup d’interventions manuelles, comme le fait de swiper, de contacter des inconnu·es, de répondre à ses messages. »
Pourquoi ne pas agir comme des machines à notre tour ?
Il est légitime d’être mal à l’aise devant ces outils ; il est aussi intéressant de se demander pourquoi ils ont été développés. Les applications de rencontre sont connues pour être des espaces numériques pénibles, particulièrement dans le cadre des relations hétérosexuelles, qui exposent les femmes à de nombreuses violences misogynes. La frustration est au cœur de leur modèle économique. Alors, puisque les apps sont des machines aux buts opaques, pourquoi ne pas agir comme des machines à notre tour ? D’autres personnes (hommes et femmes) adoptent plutôt un comportement de hackers low-tech pour comprendre et déjouer les règles invisibles de ces plateformes. Si je désactive temporairement mon compte, si je change de ville, si je rejette en bloc les 10 prochains profils, est-ce qu’on me proposera enfin une personne qui pourrait me plaire ?
Ce genre de techniques est justement le sujet d’Algorithms of Resistance, un récent essai des chercheurs Emiliano Treré et Tiziano Bonini, disponible en accès libre par ici (je précise que j’ai entendu parler de leurs travaux grâce à la super infolettre Automated Society). Ils y examinent les différentes manières dont les internautes tentent de résister aux algorithmes qu’on leur impose, ou alors de leur donner un nouveau but, qu’il s’agisse de publier des fausses critiques positives pour améliorer la réputation de son restaurant ou de chauffeurs Uber qui se coordonnent pour se déconnecter de l’application en masse afin d’augmenter mécaniquement le prix de leurs courses.
On peut donc ranger les tentatives de « hacker » les applications de rencontres dans cette catégorie. Mais il est aussi frappant que derrière le vernis technophile se cache un discours finalement assez classique, et similaire à ceux tenus par les pick-upartists et autres masculinistes. Eux aussi promettent de hacker les rencontres, sauf que leurs ennemis sont les femmes et leur droit de les ignorer, plutôt que des algorithmes à dompter. L’amour, ou en tout cas la relation intime, devient un dû. Ce qui m’amène à ce dernier questionnement : aurait-on accepté qu’une développeuse programme un bot pour parler à des hommes à sa place sur Tinder ?
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