La décision est une stricte application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), et devrait rappeler à tous les éditeurs les obligations qui sont la contrepartie de leur régime d’immunité pénale. Dans une ordonnance du 13 avril 2016, le tribunal de grande instance de Paris a condamné le site EgaliteEtReconciliation.fr à mettre en place « un dispositif facilement accessible et visible permettant de porter à sa connaissance les contenus illicites » publiés par ses lecteurs dans les zones de commentaires ou de forums.
Cette demande adressée au site de l’association d’Alain Soral avait été formulée par l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) et J’accuse — Action internationale pour la justice (AIPJ). Elles avaient été rejointes par SOS Racisme, la Licra, et le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre et les Peuples.
Selon les termes de l’ordonnance, ces associations avaient expliqué au tribunal que « leur attention est régulièrement attirée par la présence, sur ce site, de textes, images ou dessins susceptibles de contrevenir aux dispositions sanctionnant l’apologie de crimes contre l’humanité et l’incitation à la haine raciale, sans que, pour autant, ne soit mis à disposition du public un dispositif » permettant de les signaler et donc, d’obtenir leur effacement.
Or en contrepartie d’un régime qui les rend pénalement irresponsables des contributions des internautes qu’ils hébergent, la LCEN impose dans son article 6 aux éditeurs de services de « mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance » des contenus illicites de certaines catégories jugées particulièrement graves (apologie de crimes contre l’humanité, haine raciale, provocation au terrorisme, …). Contrairement, il s’agit d’un lien ou d’un bouton qui permet de signaler facilement un commentaire ou autre contenu illégal. L’éditeur est alors présumé avoir pris connaissance du contenu, et a l’obligation de le retirer ou d’en assumer la qualification pénale.
Egalité et Réconciliation condamnable de toute façon
En principe l’irrespect de cette disposition peut être punie jusqu’à un an de prison et 75 000 euros d’amende, mais le tribunal des référés s’est contenté d’astreindre EgaliteEtReconciliation.fr à mettre en place ce bouton sous un délai d’un mois.
Ce jugement est néanmoins curieux, puisque EgaliteEtReconciliation.fr semble lui-même abandonner le bénéfice de la LCEN. Il est en effet possible de commenter des articles qui y sont publiés, mais le site prévient que « ce forum est modéré à priori », et que « nous appliquons ici volontairement une modération sévère ». Or la LCEN n’aménage un régime d’irresponsabilité que pour les éditeurs qui appliquent une modération « a posteriori » et qui ne sont donc pas censés avoir tout lu et tout validé avant publication.
En choisissant de modérer a priori les commentaires, EgaliteEtReconciliation.fr réalise un choix éditorial des messages qu’il publie. S’il publie des commentaires antisémites, racistes ou faisant l’apologie de la Shoah, c’est bien EgaliteEtReconciliation.fr qui choisit d’assumer le contenu de tels messages. Dans ces conditions, le bouton d’alerte imposé par la LCEN ne sert à rien, puisque ce n’est pas (ou pas seulement) le lecteur-commentateur qui pourra être poursuivi dès la publication d’un message illégal, mais bien le site lui-même qui a choisi de le publier.
On rappellera toutefois que la jurisprudence difficilement lisible de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) appelle à la mesure en matière de condamnation des éditeurs de sites web qui choisissent une modération a priori, puisqu’elle « peut avoir des conséquences négatives prévisibles sur l’environnement des commentaires d’un portail sur Internet, par exemple en l’incitant à fermer l’espace de commentaires », ce qui aurait un « effet dissuasif, direct ou indirect, sur la liberté d’expression sur Internet ». Néanmoins dans son arrêt Delfi AS de juin 2015, la CEDH avait été jusqu’à préconiser le filtrage préventif des commentaires haineux à l’illégalité manifeste, sur des sites de nature commerciale.
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