EDF est critiqué en interne pour avoir accepté de participer à la construction d’un barrage hydroélectrique avec station de pompage en Arabie Saoudite pour développer le projet dystopique The Line. Les « STEP » sont censées être des solutions vertes, mais le projet dans son ensemble aura forcément des impacts écologiques négatifs. Il est aussi critiqué pour son impact sur les populations aux alentours.

C’est un petit coup de tonnerre dans le monde politique et écologique : l’association d’une entreprise publique française à un projet saoudien aussi démesuré que controversé. Le 1er mars 2024, Radio France a révélé qu’EDF a passé un contrat avec l’Arabie Saoudite de Mohammed ben Salmane pour aider à bâtir The Line, la ville dystopique du futur en train d’être érigée au milieu du désert.

The Line est au cœur de Neom, un ensemble de colossales constructions prévues par le gouvernement saoudien dans la région nord-est du pays. On y trouve aussi bien des stations de ski, que cette ville tout en longueur, gueur censée héberger in fine 9 millions de personnes — pas des locaux, mais plutôt des touristes ou des expatriés fortunés.

L’enquête de Radio France montre que les employés d’EDF, notamment ceux concernés par le contrat, sont majoritairement contre cette association avec un régime autant craint que critiqué. Depuis 2018 et la mort du journaliste Jamal Khashoggi, les relations occidentales avec l’Arabie Saoudite s’étaient distendues. En 2023, des médias se sont fait l’écho de populations déplacées dans la violence pour la construction de The Line, ainsi que la mise à mort de plusieurs opposants.

The Line  // Source : Neom
Le projet The Line // Source : Neom

Un barrage hydroélectrique avec station de pompage : comment ça marche ?

Au cœur du contrat entre EDF et l’Arabie saoudite, il y a la STEP. Selon le site officiel français, il s’agit d’une « station de transfert d’énergie par pompage ». Il s’agit, selon l’entreprise, de « l’unique moyen de stockage d’électricité à grande échelle ». Pratique, lorsque l’on souhaite développer une ville au milieu du désert, avec des énergies uniquement renouvelables, et permettre à ses habitants d’avoir de l’électricité en continu.

Le bassin du haut est ici mis en surligné // Source : YouTube/EDF
Le bassin du haut est ici mis en surligné // Source : YouTube/EDF

Comment ça marche ?

Pour qu’une STEP fonctionne, il faut impérativement qu’il y ait deux bassins d’eau, dont un est plus en hauteur que l’autre. Lorsqu’on a besoin d’électricité, on ouvre les vannes du barrage pour que l’eau située en hauteur descende à toute vitesse et crée de l’énergie. Plus le bassin supérieur est haut, plus la centrale aura de la puissance lorsqu’on laisse l’eau déferler.

La station est « renouvelable », car elle fonctionne aussi à l’inverse : lorsqu’il y a assez ou trop d’énergie sur le réseau, des pompes sont activées pour faire remonter l’eau qui a chuté, jusque dans son bassin supérieur d’origine. Ainsi le cycle peut s’autoentretenir.

Une centrale hydroélectrique dans le désert : pourquoi le projet n’est pas si « vert » ?

Sur le papier donc, les STEP permettent de créer de l’électricité sans avoir recours à des activités trop polluantes. Se pose néanmoins plusieurs questions.

  • La première, c’est que la construction d’une telle station demandera forcément de trouver de l’eau, au départ. Dans l’offre soumise à Neom Company, que Radio France a consultée, on comprend qu’EDF a pour projet d’utiliser de « l’eau prélevée dans la mer, dessalée pour éviter la corrosion des installations, puis transportée par pipeline dans le désert pour alimenter la centrale ». Pour dessaler ladite eau, il faudra d’ailleurs construire une autre usine proche de la mer Rouge. « Située dans une région aride, Nestor aura besoin d’une quantité importante d’eau pendant les phases de construction, de mise en service et d’exploitation », concède d’ailleurs le dossier d’EDF.

En France, les STEP sont principalement disposées en montagne — on en compte 4 dans la région grenobloise — pour profiter de l’eau de la fonte des neiges. Pour que la centrale fonctionne efficacement, il faut beaucoup, beaucoup d’eau.

  • Ensuite, parce que la construction The Line est vertement (sans mauvais jeu de mot) critiquée pour son absence de retombées positives sur les habitants de la région. L’entité Neom dans son ensemble a pour visée de séduire les touristes et expatriés fortunés. Ainsi, les ressources utilisées et l’argent dépensé n’ont aucune visée positive pour les populations autochtones. L’Arabie saoudite est d’ailleurs allée chercher des entreprises étrangères, mais aussi débaucher des cadres occidentaux avec de juteux salaires à la clé.
  • La construction de Neom, au global, sera « extrêmement énergivore », rappelle également l’enquête de Radio France, au vu des rudes conditions climatiques et du terrain peu favorable. « Selon mes estimations, la construction de Neom dégagera 1,8 milliard de tonnes de dioxyde de carbone. C’est l’équivalent de quatre fois les émissions annuelles du Royaume-Uni », estime Philip Oldfield, directeur de recherche sur l’environnement et l’architecture à l’Université de Nouvelle Galles du Sud (UNSW) à Sydney.

Au-delà de ces enjeux, certains salariés d’EDF interrogés par nos confrères parlent aussi de priorité, estimant que l’entreprise française publique ferait mieux de se focaliser sur le développement en France : « On s’engage dans un projet discutable à l’étranger au lieu d’investir dans des projets de centrales hydroélectriques en France qui seraient nécessaires à la souveraineté énergétique de notre pay », commente un employé.

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