Il y aurait beaucoup à dire sur le principe-même du blocage d’un site internet ordonné ce vendredi par le tribunal de grande instance à la demande de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (voir notre résumé, et l’intégralité de la décision). La possibilité donnée au TGI de prononcer en référé de telles mesures sans convoquer le site internet en question à l’audience, et sans chercher d’abord à agir au niveau de l’hébergeur, n’a pas été contestée au niveau du Conseil constitutionnel, qui ne s’est donc pas prononcé. Peut-être le fera-t-il un jour à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, désormais permises aux juridictions. Il y aura très certainement appel, puis pourvoi en cassation, et probablement l’affaire ira-t-elle jusque dans les mains de la Cour de Justice de l’Union Européenne.
En attendant, même à supposer que le filtrage ordonné aux fournisseurs d’accès à Internet soit juste et proportionné… il est tout de même un élément de cette ordonnance de ce 6 août 2010 qui a de quoi faire sursauter. Le tribunal constate en effet que le décret censé prévoir le dédommagement financier des fournisseurs d’accès à Internet n’a pas été publié par le gouvernement, mais il décide tout de même d’ordonner le filtrage comme si les deux étaient parfaitement dissociables :
L’exécution des dispositions de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010, et notamment celles résultant de l’article 61 alinéas 1 et 2, ne nécessite pas de mesures d’application, à l’exception du dernier alinéa de cet article prévoyant une compensation financière des surcoûts résultant des obligations mises à la charge des (FAI), dont les modalités doivent être fixées par un décret non encore publié.
Dès lors, les dispositions des articles 61 alinéas 1 et 2 sont applicables et la fin de non recevoir ne peut être accueillie.
Dans sa réponse « sur les demandes de prises en charge des coûts des mesures » qu’il ordonne, le tribunal de grande instance constate là encore son impuissance, dont il se fiche totalement :
En application du dernier alinéa de l’article 61 précité, un décret doit fixer les modalités de compensation des surcoûts entraînés par les obligations mises à la charge des fournisseurs d’accès à Internet.
Les demandes formées à l’encontre du Trésor public ou du demandeur (l’ARJEL, ndlr) ne sont donc pas fondées.
Pour que tout soit prêt avant la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud, le gouvernement avait battu des records de vitesse dans la publication des décrets d’application de la loi sur l’ouverture au marché des jeux d’argent en ligne. Il avait publié 9 décrets quinze jours seulement après la promulgation de la loi. Du jamais vu. Aujourd’hui, 22 décrets ont été publiés, et seuls six restent encore dans les tiroirs. Dont celui qui doit dire de quelle manière et dans quelle mesure le contribuable doit rembourser aux FAI les mesures de blocage ordonnées. Selon une estimation réalisée pour le filtrage des contenus pédopornographiques, le blocage de sites pourrait coûter aux FAI jusqu’à 140 millions d’euros.
Soumises à une astreinte de 10.000 euros par jour de pénalité si elles ne se plient pas à l’obligation de filtrage, les FAI devront « informer le président de l’ARJEL des mesures qu’ils ont prises, des difficultés éventuellement rencontrées, et des résultats obtenus« . Seront-ils entendus s’ils disent que le filtrage leur coûte trop cher à mettre en place ? Rien n’est moins sûr.
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