« En 2016, des gens se réunissent pour parler politique, décider ensemble d’actions concrètes et appellent cela #NUITDEBOUT. À chaque AG, on l’entend : « c’est beau ce qui se passe ici ». Les participants semblent sidérés par le même constat : Oui, je peux prendre la parole, proposer, être entendu. Le jeu vidéo jouera-t-il un rôle dans ce mouvement ? ».
Ainsi commence la réflexion sur Nuit Debout par le développeur du jeu — encore minimaliste — des nuits-deboutistes. Ce mouvement qui a d’abord pris place à République à Paris, qui s’étend désormais à travers la France et même dans l’Union Européenne, pourrait-il bientôt s’étendre aux espaces virtuels des MMORPG ?
Difficile à cerner, le mouvement se caractérise d’abord par la prise de parole collective. « Parler » et « Politique », voilà deux mots qui traversent Nuit Debout. Des mots qui sont pour les participants des valeurs, et les deux revers de la même pièce. Parler c’est s’approprier l’espace, la réflexion, c’est exister par sa réflexion. Et la politique c’est vivre la cité, occuper l’espace et imaginer la vie ensemble. C’est beaucoup, c’est ambitieux et c’est nécessairement fait dans un certain chaos créatif, où s’entremêlent les initiatives spontanées et les récupérations calculées.
Créer c’est résister
Festif, Nuit Debout l’est assurément, même si les participants regrettent toujours que les médias s’intéressent davantage aux soirées mouvementées de la place qu’aux AG hautement politiques où les participants refont le monde. L’imagination pour animer les soirées y est sans limite. Jeudi soir par exemple, le magazine Trax spécialisé dans les musiques électroniques organisaient une rave collaborative en plein Paris. Avec des ondes de courte portée, un système son devait être improvisé par tous les participants pour faire retentir la musique dans le cœur parisien du mouvement.
Déjà des participants s’interrogent, toutes les occasions sont-elles bonnes pour Nuit Debout ? La politique peut-elle souffrir de la festivité apparente du mouvement ? Finalement, cette soirée sera un relatif échec. Malgré la bonne volonté des organisateurs, les nuits-deboutistes n’avaient pas la tête à la fête. Et la musique n’a pas retenti.
Pourtant, l’art engagé bien sûr, est dans les gênes de Nuit Debout. On y rencontre tous les jours des musiciens, des artistes et des jeunes gens plein d’entrain à l’idée de changer le monde sur quelques notes. Et pour cela, il ne faut pas sous-estimer le nombre d’initiatives artistiques et l’influence d’un mouvement dont le message passe aussi par un art de vivre la politique.
Occuper un espace c’est aussi le transformer, l’agrémenter, porter la parole dans la création. Et quoiqu’on en pense, après les Panama Papers, la festive et sauvage attaque de la Société Générale — banque impliquée dans le scandale — à coup de peintures et de confettis, marque ce tournant très soixante-huitard de l’idée du politique que se font les membres de Nuit Debout. Comme on l’entend souvent sur la place, tout est politique. Peindre, chanter, créer, c’est résister.
Et pour un mouvement porté par des jeunes gens connectés, le jeu vidéo est un art comme les autres. Ici, personne n’a envie d’avoir de débats plein de poncifs sur les malaises sociaux du jeu vidéo. Le jeu a même aidé certain à se retrouver là. En effet, c’est parfois sur les espaces de discussion de jeux massivement multi-joueurs que des nuits-deboutistes se sont rencontrés. À l’instar de Periscope qui porte le mouvement depuis son début, le jeu-vidéo apparaît comme une prolongation évidente de la Nuit Debout pour ces militants ultra-connectés.
Le jeu-vidéo debout
Le jeu-vidéo créé par Pierre-Yves Hurel est pour le moment très simple. Entre les vieux Pokémons de nos GameBoys et le chat, le jeu semble vouloir répliquer ce qu’il se passe tous les soirs place de la République sur un espace en ligne, virtuel.
Le concepteur explique par ailleurs à propos de son jeu : « J’ai créé un mini-prototype de rien du tout, appelé #JEUDEBOUT et disponible ici. Il se résume (pour l’instant ?) à un monde virtuel auquel chacun peut se connecter pour participer au chat libre (et je bataille pour y ajouter un mode AG où l’on doit s’inscrire pour prendre la parole et où l’on dispose d’un temps de parole imparti ensuite). Il est donc centré sur les modalités de prise de parole, puisqu’il me semble que c’est le point de départ de ce mouvement. »
L’objectif suivi n’est pas de faire un produit dérivé de Nuit Debout, mais bien de proposer aux plus gamers des militants un nouvel espace participatif pour porter les idéaux du mouvement. Participatif, déjà open-source — la venue de Stallman à Nuit Debout semble avoir eu de l’écho — le jeu nous rappelle Miitomo avec cette idée de gamification de la parole. Mais ici, personne ne vous demandera ce que vous avez mangé hier.
À l’heure où nous nous sommes rendus sur la plateforme, nous étions plutôt seul dans cet espace de parole. Pour le concepteur, ce n’est pas ce qui compte. Si ce n’est pas lui qui portera le jeu officiel de Nuit Debout, ce n’est pas grave : « Je ne suis pas un développeur de jeux vidéo professionnel et j’ignore si j’arriverai à développer ce prototype, pour des questions de temps et de compétences (je tiens d’ailleurs son code à disposition de qui voudrait). Ce n’est pas tellement mon propos. J’aimerais surtout proposer aux gamedev, aux indés, aux étudiants en game design, aux amateurs, aux fans, aux modders, aux hackers, aux codeurs de l’open source, aux chercheurs, aux assos, aux critiques et aux joueurs à s’emparer de la thématique Nuit Debout. »
Occuper l’espace virtuel ?
La question posée par Periscope, les hashtags #NuitDebout et maintenant son jeu-vidéo se résume toujours à occuper des nouveaux espaces de participations, même virtuelles. Et c’est ce que l’on retiendra de ce premier jeu-vidéo deboutiste. Le mouvement est porté par des individus pour qui tous les espaces sont propres à être politiques, qu’ils soient réels, ou imaginaires.
Parler de la loi travail et de la répartition des richesses sur World Of Warcraft, c’est occuper un espace, s’en saisir et le rendre instantanément politique. Si bien sûr les arts du jeu vidéo ont parfois une portée engagée, la réflexion qui vient de naître chez les geeks de Nuit Debout, elle, est assez inédite.
Ce n’est plus le seul concepteur du jeu vidéo qui a un rôle dans la politisation de son univers, mais cette responsabilité est aussi tenue par les joueurs. A l’heure des réalités virtuelles, de la mise en réseau impressionnante des individus dans les MMORPG, l’espace virtuel peut devenir pour ces militants un nouvel espace politique. Et c’est peut-être ce que l’on retiendra de ce jeu.
Une réflexion qui n’est pas sans rappeler que les MMORPG portent souvent des sociétés entièrement virtuelles, avec leurs propres règles, leurs drames et leurs histoires en somme très humaines. Ignorées des non-joueurs, ces sociétés de joueurs sont des espaces de vie communautaire dans lesquels on joue bien-sûr, mais on réfléchit aussi, on construit collectivement des règles et des sociétés émergent. Ainsi, on pense forcément à EVE Online, avec ces espions-joueurs, ces batailles mémorables et ces moments de vie virtuelle partagée par des milliers d’individus.
Quelles influences ces espaces virtuels ont réellement sur l’espace politique de nos sociétés ? Cela reste bien compliqué à mesurer, mais comment sous-estimer l’impact de ces histoires collectives qui ont fait vibrer, penser et créer des centaines de milliers de joueurs à travers le monde ?
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