Lorsque Frank prend sa voiture, le 19 mars 2024, il s’embarque pour un long voyage : plus de 700 km le séparent de sa destination finale, un village normand. Sa visite a un but précis : il vient confronter l’artiste Vincent Faudemer qui, selon lui, l’aurait arnaqué de 7 000 euros. Frank est bien déterminé à récupérer son argent.
Il n’est pas le seul à se considérer comme une victime de l’artiste. Numerama a contacté plusieurs anciens fans, qui ont acheté, entre 2021 et 2022, des NFT lancés — une sorte d’œuvre d’art numérique — par Vincent Faudemer. D’après l’artiste, ces non fungible tokens devaient permettre à leur propriétaire de gagner de l’argent, des montres, des cadeaux et bien plus encore. Mais aujourd’hui, un grand nombre d’acheteurs racontent se sentir floués après avoir dépensé des milliers d’euros, sans recevoir aucune des récompenses promises.
« Le Petit prince de l’art contemporain »
Vincent Faudemer est une star de l’art français. Il est décrit comme « le Petit prince de l’art contemporain » dans un reportage de M6 en 2018, ou encore comme « le Warhol du NFT » dans un portrait élogieux de Technikart paru en 2021. Pourtant, celui qui se décrit lui-même comme « l’artiste français le plus vendu au monde » a déjà été condamné à deux reprises par la justice, et il est interdit de gestion en France.
Le Collectif Aide aux Victimes des Influenceurs (AVI) a également annoncé en novembre 2023 préparer une action en justice contre Vincent Faudemer, à laquelle plus de 200 personnes participent. Le préjudice est estimé à plus de 680 000 euros. Le collectif compte déposer plainte pour escroquerie en bande organisée début juillet, et une plainte séparée pour abus de confiance a déjà été déposée en mars, a appris Numerama.
Un artiste qui s’appuie sur sa notoriété pour vendre des NFT
C’est grâce au reportage de M6 que Frank a entendu parler de Vincent Faudemer. Le documentaire racontait l’histoire de ce normand d’origine, devenu célèbre du jour au lendemain grâce à Instagram. Vincent Faudemer y aurait publié les premières images d’un « Babolex », une statue chromée reprenant la silhouette de Babar, assortie d’une montre Rolex, et le succès aurait été immédiat. Des stars telles que Kourtney Kardashian, Mohammed Hadid, les footballers Presel Kimpembe, Djibril Cissé, ou encore les chanteurs Liam Payne et Lacrim auraient acheté des Babolex, vendus entre 12 000 et 78 000 euros.
Lorsqu’en 2021, Vincent Faudemer lance son premier projet de NFT, Frank est intrigué. Les NFT, ou jetons non fongibles en français, sont des inventions liées au monde des crypto-monnaies — des sortes de certificats d’authenticité, inscrits sur la blockchain, qui permettent de créer des œuvres numériques uniques au monde. À ce moment-là, en plein Covid, les crypto-monnaies et les NFT explosent, certains se vendant à plusieurs millions de dollars — et le projet AlienX de Vincent Faudemer surfe sur cet engouement. Frank décide d’acheter quatre de ses NFT.
« C’était quelqu’un de connu du monde de l’art, qui était très médiatisé, je me suis dit qu’on pouvait lui faire confiance à 100 % », explique-t-il. Il n’est pas le seul à être rassuré par sa célébrité. « J’ai vu que c’était un artiste français. Il n’y avait que des articles positifs sur lui, il était passé à la télé, on l’appelait « le petit prince »… ça m’a poussé à acheter », rembobine Mel, qui avait entendu parler de lui sur Instagram.
Promesses non tenues
AlienX est un succès : les 9 000 NFT de la collection, vendus 700 euros pièce, partent tous en deux heures seulement. Cette réussite pousse Vincent Faudemer à lancer d’autres projets : des NFT Babolex, un jeu vidéo Baboland, des NFT et des statues à l’effigie de Snoop Dogg, et des maisons dans le métaverse. Vincent Faudemer parle de lancer sa propre crypto-monnaie, et il se vante de préparer une série documentaire sur sa vie avec Netflix.
L’artiste jure surtout à ses fans que grâce à ses NFT, ils pourront gagner de l’argent ou des cadeaux de luxe, et qu’ils seront entièrement remboursés. Aux acheteurs de la collection AlienX, il promet un tirage au sort pour « des cadeaux exceptionnels, dont un chèque de 500 000 $, un bon d’achat de 250 000 € pour la boutique MsMotors à Cannes, plusieurs Rolex, plusieurs concours… et bien d’autres choses encore. »
Pour la collection en collaboration avec Snoop Dogg, il garantit que ses clients auront droit à une statue pour chaque NFT acheté, et « 1 chance sur 10 de participer à un concert privé » de l’artiste. Nos témoins racontent que Vincent Faudemer aurait également promis des voyages ou des invitations à des soirées à ses fans. « Il vendait une vie de rêve sur les réseaux sociaux, et il disait qu’il allait rendre les gens riches », rappelle Christophe*, un ancien de la communauté.
Près de 3 ans après le début de la collection, « aucune des promesses n’a été tenue », assène Mel. De nombreux témoins interrogés par Numerama confirment : le concert de Snoop Dogg ne s’est jamais produit, tout comme les soirées promises ou les tirages au sort. « Il avait dit que si on avait une collection complète de cartes, on aurait droit à une statue Babolex. Lorsque qu’une personne a réussi à les avoir et lui a demandé la statue, il a inventé à la dernière minute une nouvelle carte, en disant qu’elle n’avait pas vraiment gagné », rappelle Christophe. Surtout, l’argent promis par l’artiste n’est jamais arrivé. « On devait avoir un revenu de 80 dollars par mois par NFT possédé et il nous avait aussi promis qu’on serait remboursé de la totalité de nos achats chez lui avec son token », énumère Christophe, qui n’a jamais touché cette somme.
Jérôme* compte parmi rares gagnants. « J’avais réussi à faire une collection complète de cartes, et il devait m’envoyer une statue Babolex d’une valeur de 14 000 euros. » Mais après plusieurs retards et des mois d’attente, lorsque l’œuvre arrive enfin, elle est cassée, la tête du Babolex séparée du reste du corps. « Ils m’ont demandé de la renvoyer à mes frais pour qu’ils me livrent une nouvelle, ce que j’ai fait en décembre 2022. Depuis, je n’ai plus de nouvelles, mes mails restent sans réponse. J’ai menacé de porter plainte pour vol, mais c’est silence radio », se désole-t-il.
Max*, qui a déboursé quasiment 14 000 euros dans les projets de Vincent Faudemer, a assisté de près à toute l’histoire. Entre décembre 2021 et mai 2022, il a été l’un des modérateurs du Discord de la communauté AlienX et Babolex, et raconte avoir essayé d’obtenir les récompenses promises. « Il y a eu des mois de dialogue avec Vincent Faudemer, et à chaque fois il repoussait les dates de livraison pour les statues, trouvait des excuses. On a même demandé qu’il envoie des preuves en photos de ces projets, mais il refusait. »
« C’est un escroc manipulateur, il met en avant un projet en promettant monts et merveilles, et derrière, il n’y a rien », s’emporte-t-il. « J’ai revendu à perte à 30 ou 40 euros des NFT que j’avais achetés à 800 euros ». L’activité autour de ces NFT est quasiment au point mort depuis 2024 : presque plus personne ne vend ou n’achète la collection, qui a l’air d’avoir été oubliée.
Il faut dire qu’au global, le marché des NFT ne se porte pas bien depuis l’année 2022 : une fois la hype passée, de nombreux actifs numériques ont perdu en valeur.
D’autres projets auraient simplement été laissés à l’abandon, comme le métaverse. Quant au jeu vidéo, une app Baboland est bien disponible sur Android, mais le résultat n’est en rien comparable au monde immersif qui avait été annoncé. Aucun des mini-jeux ne marche, et l’app laisse seulement les joueurs se déplacer péniblement dans un minuscule décor en 3D.
Deux condamnations pour pratiques trompeuses
Slim, l’un des membres du Collectif AVI, explique que le groupe a décidé de lancer une action contre l’artiste. « On le soupçonne d’arnaque et de publicité mensongère, parce que les promesses n’ont pas été tenues », explique-t-il au téléphone à Numerama. Il dit avoir conscience que le bear market, une brusque chute des prix ayant touché le marché des crypto-monnaies en 2023 et 2023, n’a pas aidé la situation. Cependant, « ce n’est pas juste un projet qui n’a pas marché. Rien n’a été fait, et c’est pour ça qu’on a fait ces recours ».
Ce n’est pas la première fois que l’artiste fera face à la justice : il a déjà été condamné à plusieurs reprise, comme l’a révélé en avril 2023 le journal d’investigation normand Le Poulpe. En 2011, Global Trade Corporate, une société de vente sur internet fondée par Vincent Faudemer, a été liquidée par le tribunal de commerce de Caen. Dans ses conclusions est indiqué que « la société encaissait à l’avance les prix de vente des véhicules. Lors de la cessation d’activité, 280 clients avaient payé et n’avaient pas été livrés, pour un total de 250 000 € ». Un mécanisme s’apparentant à « un système de cavalerie », une « méthode illégale proche de l’escroquerie ou du faux en écriture », rappelle Le Poulpe. Dans cette affaire, Vincent Faudemer avait été condamné à rembourser les victimes à hauteur de 30 000 euros.
Il a été condamné une deuxième fois, en 2017, pour pratiques commerciales trompeuses. Après avoir lancé un autre site de vente à distance, Mecanistore, Vincent Faudemer a été visé par une nouvelle plainte : 123 clients l’accusaient de ne pas avoir honoré leurs commandes. Il a été condamné à 24 mois de prison avec sursis probatoire pendant trois ans, avec obligation d’indemniser les victimes. Le tribunal correctionnel de Caen l’avait également interdit de gérer toute entreprise pendant 10 ans.
« On n’a pas l’impression d’avoir arnaqué les gens »
Vincent Faudemer a conscience que ses condamnations passées lui donnent « une teinte très difficile à défendre », explique-t-il à Numerama. Il réfute cependant toute accusation d’escroquerie. « On n’a pas l’impression d’avoir arnaqué les gens, on a même rajouté plus que ce qui était promis », jure-t-il, sans toutefois préciser quoi. D’après l’artiste, il disposerait d’un des rares projets de NFT encore en vie, plusieurs années après leur lancement. Il reconnait cependant quelques retards. « On devait organiser des week-ends, mais on n’a pas pu à cause de la baisse du prix du Solana [la crypto-monnaie utilisée pour acheter ses NFT, ndlr] ».
« C’était un climat très dur en 2022 et 2023. D’autres projets ont mis la clé sous la porte, et les acheteurs n’ont rien », souligne-t-il. « Quand vous avez une trésorerie qui fond par 14 ou 15, c’est compliqué de faire des choses, et on se retrouve aujourd’hui avec des accusations d’arnaques », dit-il, souhaitant se différencier d’autres projets en faillite.
Il se considère victime d’un « amalgame avec certains influenceurs », qui auraient fait la promotion de projets frauduleux. À cause de cela, « certaines personnes m’en veulent. Je peux comprendre que les gens soient agacés, mais je reçois des messages de mort, c’est du harcèlement. » Un grand nombre de projets NFT ont en effet posé problèmes, avec, par moments, des fondateurs qui disparaissent avec l’argent récolté. D’autres collections, comme celles mises en avant par des stars telles que Paul Pogba ou Kev Adams, n’ont jamais vu le jour.
« Ma société et mes équipes sont à Dubaï »
Vincent Faudemer estime cependant ne pas être en tort et rejette la faute. Les statues non livrées ? « J’ai eu un conflit avec l’agent de l’usine. Les boites étaient faites en Chine, et on a eu beaucoup de retard à cause du Covid. J’ai dû tout reprendre à 0 du Portugal. Les gens vont bientôt recevoir leurs statues ».
Le concert privé de SnoopDog qui n’a jamais eu lieu ? « Snoop fume pas mal de weed et ses déplacements se font en fonction des endroits où il peut fumer. Je voulais qu’il vienne en Europe, mais c’est compliqué. Snoop devrait être là pour les Jeux olympiques, et son fils a proposé de faire la rencontre à ce moment-là. »
L’interdiction de gérer des sociétés ? « C’est vrai », reconnait-il. Cependant, « c’est une interdiction de gérer en France, et ma société et mes équipes sont à Dubaï. » Le jeu vidéo inachevé ? « Le développement nous a couté 600 000 euros, c’est un univers créé de A à Z, mais ils ne sont que 4. Le but, c’est qu’il soit joué massivement, comme Axie Infinity, et les NFT vont être la source de récompenses dans le jeu ».
Vincent Faudemer estime surtout que sa clientèle a changé. « Avant, c’étaient des gens entre 40 et 60 ans. Mais depuis les NFT, ma clientèle s’est rajeunie, c’est une majorité de jeunes hommes entre 18 et 30 ans, qui viennent du secteur des cryptos. On est sur des gens qui ne sont pas sur une démarche artistique, mais qui veulent avoir le meilleur retour sur investissement. »
Escroquerie ou pratique commerciale trompeuse ?
Vincent Faudemer a-t-il sciemment utilisé sa réputation pour faire fortune ? Ou l’artiste s’est-il laissé déborder par le succès de ses collections de NFT, alors en plein boom économique, sans pouvoir après coup assumer les récompenses promises ? Ce sera à la justice de trancher.
Pour Marina Carrier, avocate spécialisée dans le droit des nouvelles technologies, pour qu’une opération soit qualifiée d’escroquerie, « il faut que l’auteur ait usé de manœuvres frauduleuses. Il faut qu’il y ait un élément moral qui caractérise l’intention de l’auteur de ne pas remettre les récompenses », explique-t-elle.
Pour les projets de NFT se terminant avec ce qu’on appelle un rug pull, lorsque les créateurs du projet disparaissent avec la caisse, l’escroquerie est facile à démontrer. Ici, la nuance est plus subtile. « Pour qualifier ça d’escroquerie, il faut qualifier l’élément intentionnel, ou alors que les propriétaires n’aient jamais reçu leur NFT. Pour des propriétaires qui n’auraient jamais reçu les avantages promis, on serait sur des pratiques commerciales trompeuses, ce qui est différent de l’escroquerie. »
Frank, en tout cas, a sa réponse. Lors de son voyage en Normandie, il n’a pas pu voir Vincent Faudemer. Après avoir sonné chez l’artiste et patienté devant chez lui pendant plusieurs heures, il a rebroussé chemin. « Je me suis dit que la seule chose qu’il me restait à faire, c’est d’aller à la gendarmerie de la ville. » Il a déposé plainte pour abus de confiance le 20 mars 2024. « C’était impossible pour moi, de rester comme ça, alors qu’il continue ses projets », affirme Frank. Quelques jours plus tard, Vincent Faudemer annonçait l’ouverture prochaine d’une exposition, à Paris, et promettait que de nouvelles choses arrivaient pour ses projets de NFT.
Vincent Faudemer est présumé innocent des faits présumés pour lesquels des plaintes ont été déposées.
* les prénoms ont été changés
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