Numerama.com : Pour quels motifs les juges ont-ils estimé que l’activité de Logistep était illicite ?
Sébastien Fanti : La Cour était composée de 5 juges. À la majorité de trois, les juges ont estimé pour des motifs divers et après pondération des intérêts entre les droits d’auteur et la sphère privée que la loi proscrivait la traque privée des internautes.
De surcroît, se référant à la jurisprudence européenne, les 5 juges ont estimé que l’adresse IP est une donnée personnelle protégée par la loi. Un juge a même soutenu que son adresse IP était plus importante pour lui que son numéro de téléphone portable !
Parmi les motifs retenus hormis la pondération déjà citée, figurent l’absence de base légale explicite, le caractère peu démonstratif de la preuve (l’adresse ne renseigne qu’imparfaitement sur l’identité de l’auteur d’une infraction), l’intérêt indirect des ayants droits représentés par une société poursuivant un but économique pur, les dangers liés à la transmission des données à des tiers, à leur transfert international…
Les motifs écrits retenus nous seront communiqués dans quelques semaines. Ce qui vous a été exposé reflète la teneur des délibérations publiques durant lesquelles les juges s’expriment plus librement.
N : Quelles peuvent être les conséquences pénales de la décision pour Logistep ?
SF : Logistep a entrepris une gigantesque traque sur internet, traque qui s’avère aujourd’hui clairement illicite.
En conséquence, les personnes qui composent le conseil d’administration de cette société, respectivement celles qui œuvrent pour cette société seront dénoncées au Procureur du Canton de résidence de la société pour avoir commis, à notre sens, divers délits.
Nous demanderons que la justice s’assure que les millions d’adresses IP collectées ne soient pas transférées et tenterons d’obtenir un séquestre sur les comptes bancaires de cette société.
Ne dit-on pas que l’argent est le nerf de la guerre ?
N : Qu’est-ce que la décision change pour les internautes suisses ?
SF : Les internautes suisses ne pourront plus faire l’objet d’une traque par des privés. Et comme l’Etat ne peut mettre sous surveillance les internautes pour violation du droit d’auteur, les condamnations ne seront, à mon sens, plus possibles.
Seule une modification légale pourrait permettre une surveillance étatique pour de telles infractions. La lenteur toute helvétique du législateur étant de notoriété publique, nous ne sommes pas prêts de sortir de ce dilemme.
Notre objectif n’est en effet nullement de priver les artistes de leurs droits, mais de trouver une solution praticable respectueuse des droits de chacun.
La licence globale nous apparaît la piste la plus intéressante à cet égard.
N : Y a-t-il aussi une incidence pour les internautes français ?
SF : Je le pense. Différents acteurs ont invoqué le caractère licite de la traque en Suisse pour obtenir de tribunaux français, respectivement d’intermédiaires techniques l’identité des gens sur la base de l’adresse IP.
Dès lors que la collecte est illicite en Suisse, aucun juge français ne devrait désormais donner suite à une telle requête, le moyen de preuve étant illicite.
Quoiqu’il en soit, j’invite les internautes concernés à invoquer cette jurisprudence que je tiendrai à leur disposition dans le cadre de leur défense.
N : L’affaire s’arrête-t-elle là, ou pensez-vous entamer d’autres poursuites ?
SF : Sans vouloir trop en dire pour préserver l’effet de surprise, la prochaine cible est clairement l’IFPI.
J’avais déposé une dénonciation le 29 février 2008 (cf. document ci-après, ndlr) auprès du Préposé lequel avait suspendu la procédure dans l’attente du jugement Logistep. Celui-ci étant rendu, la procédure va pouvoir reprendre rapidement et, je l’espère, avec succès.
Nous tiendrons évidemment vos lecteurs informés de tout développement de ce dossier.
Merci beaucoup.
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