La SCPP, qui collecte les droits des grandes maisons de disques, dit envoyer actuellement 10 000 adresses IP par jour à l’Hadopi. Mais sans attendre l’impact de la riposte graduée, elle demande à ce que les FAI déploient un filtrage des contenus piratés par DPI, en décidant elle-même de ce que sont les offres légales ou illégales.

Alors que l’Hadopi doit envoyer dans les jours ou les semaines qui viennent ses premiers e-mails, nos confrères de PC Inpact ont interrogé Marc Guez, le président de la Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP), pour avoir la température des prochaines opérations de lobbying de l’organisation des majors du disque. Il confirme, sans aucun état d’âme, le souhait de la SCPP d’imposer à terme un filtrage des contenus par inspection profonde des paquets (DPI). « Vaut mieux empêcher les gens de pirater que de les poursuivre par ce qu’ils ont piraté« , justifie Marc Guez.

Au niveau européen, les ayants droit ont fait mener en Allemagne une expérimentation du filtrage par la société Vedicis, dont les tests en laboratoire (en réseau local) se seraient révélés concluants. « Il y a plus de 99% des contenus qu’on veut protéger qui sont bloqués (…) C’est un système très efficace qui ne perturbe pas le trafic internet normal. C’est du filtrage du contenu donc cela laisse passer par contre tous les contenus qui ne sont pas dans la base de données« .

Il s’agit donc pour la SCPP d’ouvrir chaque paquet, de regarder ce qu’il contient, et de décider de le laisser parvenir à son destinataire ou de le séquestrer. Mais cela ne pose pas de problème pour la protection de la vie privée, assure-t-il, car « c’est un robot qui le fait, donc il ne regarde pas réellement ce qu’il y a« .

Pour imposer le filtrage par la méthode douce, l’idée des maisons de disques est simple. Il faut convaincre ou contraindre les FAI à mettre en place une « expérimentation » à grande échelle, qui ne bloquera que les contenus destinés aux abonnés volontaires. Et pour obtenir ce volontariat, rien de mieux que les e-mails de l’Hadopi qui assureront à l’abonné que s’il opte pour l’option « filtrage » dans son contrat, la Haute Autorité ne pourra plus jamais rien lui reprocher.

Filtrer, mais filtrer quoi ?

Entre les désirs de la SCPP et la réalité, il y a tout de même une marge. « Nouvelle preuve que les ayant-droits (& ceux qui les conseillent) sont des buses en matière de réseau« , tacle sur Twitter le directeur des affaires réglementaires de Free, Alexandre Archambault. « Toujours aucune preuve concrète que leur test en configuration de réseau local peut être transposé sur les vrais réseaux ici« . La bataille entre les FAI et les maisons de disques sur le filtrage est vieux. Il y a plus de deux ans, le SNEP avait lui aussi mené des tests de filtrage qui avaient fait flop, ce qui ne l’avait pas empêché d’exiger des FAI français qu’ils collaborent.

Mais au delà des problèmes techniques voire éthiques, il y a un autre problème de fond. Comment les robots de Marc Guez vont-ils savoir qu’un téléchargement est licite et qu’un autre est illicite ? Et comment le faire savoir aux utilisateurs ?

Si la SCPP veut filtrer les téléchargements illégaux, elle n’est pas prête à laisser l’administration décider de ce qui doit être considéré comme légal. Marc Guez exprime ainsi des doutes sur la labellisation des offres légales, qui est pourtant l’une des missions essentielles de l’Hadopi. On a souvent vu par le passé, notamment avec Allofmp3, que l’identification des sites légaux n’était pas simple pour le quidam. Même le gouvernement s’était trompé en référençant un site illégal. Aussi pour Marc Guez, l’Hadopi « peut faire des labels, mais un label ne garantit pas qu’il n’y aura pas des problèmes de droit d’auteur et droit voisin. En cette matière les choses sont rarement aussi limpides qu’on le souhaiterait. Vous pouvez très bien avoir une société avec des accords avec plein de producteurs, mais qui est en négociations avec la SACEM : est-ce que c’est un site licite ou illicite ? Pas évident…« . On pense bien sûr immédiatement à Deezer, qui avait ouvert sans l’autorisation de toutes les maisons de disques.

La SCPP est-elle donc favorable à ce que ça soit la justice qui décide du caractère légal ou illégal d’un site ? Evidemment non. Sa proposition est plus simple. « Nos agents assermentés font ce travail d’identification, car il faut une certaine expertise« . On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

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