Lundi, les sénateurs ont adopté dans le projet de loi numérique un nouveau dispositif de légalisation et d’encadrement des compétitions de jeux vidéo organisées avec gains financiers. Adieu, la liste ministérielle des jeux vidéo éligibles à l’esport adoptée en début d’année par les députés. Le dispositif sénatorial proposé par le gouvernement se veut plus simple et plus pragmatique, même s’il est plus cavalier. Il est issu d’une proposition du rapport d’étape de Jérôme Durain et Rudy Salles sur le développement de l’e-sport, commandé en urgence par Axelle Lemaire et remis à la fin du mois de mars.
À l’heure actuelle, les tournois de jeux vidéo avec gains financiers sont assimilés à des loteries, purement et simplement interdites par l’article 322-1 du code de la sécurité intérieure, pour des raisons d’ordre publique. Le code assimile en effet à des loteries « toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard ». Et s’il restait un doute, il précise que « cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur ».
L’idée des députés en janvier dernier était donc de faire établir par le ministère de la jeunesse (et non des sports…) une liste de jeux agréés, pour lesquels on reconnaissait que la victoire était avant tout due à l’adresse, l’endurance et l’intelligence des joueurs, bien plus qu’au hasard. Les organisateurs agréés étaient alors libres d’organiser des tournois pour les seuls jeux ainsi certifiés. Mais pour éviter cette usine à gaz, les députés ont adopté le dispositif suivant, matérialisé à l’article 42 du projet de loi numérique.
Le texte de la loi numérique
« Art. L. 321-8. – Pour l’application du présent chapitre, est entendu comme jeu vidéo tout jeu relevant de l’article 220 terdecies II du code général des impôts.
« Une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire.
« L’organisation de la compétition de jeux vidéo au sens du présent chapitre n’inclut pas l’organisation d’une prise de paris.
« Art. L. 321-9. – Sont exceptées des dispositions des articles L. 322-1, L. 322-2 et L. 322-2-1 les compétitions de jeux vidéo organisées en la présence physique des participants, pour lesquelles le montant total des droits d’inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs n’excède pas une fraction, dont le taux est fixé par décret en Conseil d’État, du coût total d’organisation de la manifestation incluant le montant total des gains et lots proposés. Ce taux peut varier en fonction du montant total des recettes collectées en lien avec la manifestation.
Lorsque le montant total des gains et lots excède un montant fixé par décret en Conseil d’État, les organisateurs de ces compétitions justifient de l’existence d’un instrument ou mécanisme, pris au sein d’une liste fixée par ce même décret, garantissant le reversement de la totalité des gains ou lots mis en jeu.
« Leurs organisateurs déclarent à l’autorité administrative, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, la tenue de telles compétitions. Cette déclaration comporte les éléments permettant à l’autorité administrative d’apprécier le respect des conditions prévues aux premier et deuxième alinéas.»
L’organisation de compétitions esport est libre
En clair, l’organisation de compétitions de jeux vidéo rassemblant les joueurs dans un même lieu sera libre, mais pas les compétitions en ligne si elles sont payantes (pour limiter les possibilités de tricherie). Les organisateurs auront simplement l’obligation de les déclarer, mais pas d’obtenir une autorisation préalable. Ils devront toutefois satisfaire un certain nombre de critères, qui seront précisés par décret, sur la répartition des sommes collectées.
En pratique les organisateurs de tournois ne devront pas reposer uniquement sur les frais d’inscription payés par les joueurs pour financer leurs compétitions, mais ils devront trouver d’autres financements (sponsoring, droits de retransmission, entrées des spectateurs, buvette, goodies, etc.), selon un rapport de proportion qui sera défini par le Conseil d’État.
Au delà d’un certain montant de « cash prize », les organisateurs n’auront plus le droit du tout de prélever une commission, pour éviter toute tentation d’inciter les joueurs à miser toujours davantage.
Dans leur rapport, Jérôme Durain et Rudy Salles proposaient un tableau synthétique de ce que pourraient être les limites fixées par décret. Ainsi par exemple, un tournoi pour lequel l’ensemble des joueurs versent collectivement moins de 500 euros pourrait utiliser cet argent pour payer 100 % des frais d’organisation, et se contenter d’une simple déclaration sans fioriture. En revanche, un organisateur qui fait payer plus de 5 000 euros de droits d’inscription ou qui touche plus de 25 000 euros par ces droits dans l’année ne pourra utiliser que 25 % de cette somme pour organiser ses manifestations, et devra fournir à l’administration un prévisionnel du budget, ainsi qu’une déclaration postérieure.
Autorisation des parents pour les mineurs
En outre, le texte autorise la participation des mineurs aux compétitions esport, mais « conditionnée au recueil de l’autorisation du représentant légal du mineur », et selon des conditions qui devront là aussi être précisées par décret.
« Le représentant légal est informé des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci. Cette information comprend notamment la référence à la signalétique [PEGI] », précise le texte adopté par les sénateurs. Il n’y a aucune interdiction qu’un mineur de 12 ans joue à un jeu déconseillé au moins de 16 ans, mais les parents devront en avoir été prévenu avant d’autoriser leur enfant.
Le rapport d’étape préconisait aussi que les sommes empochées soient limitées, à 100 euros pour les moins de 14 ans, et 2 000 euros au delà de 16 ans. En tout état de cause, les sommes éventuellement gagnées par des joueurs mineurs professionnels devront être consignées à la Caisse des dépôts et consignation, jusqu’à la majorité, excepté une part pouvait être laissée à la disposition des parents ou autres représentants légaux. Le dispositif est ici calqué sur celui qui existe pour les enfants qui travaillent dans le spectacle, la publicité, la mode, ou le sport de haut niveau.
Des CDD spéciaux pour les joueurs pros
Enfin, le Sénat a approuvé le CDD particulier pour les joueurs professionnels, définis comme « toute personne ayant pour activité rémunérée l’exercice d’une activité de jeu vidéo compétitif dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».
Le texte qui déroge en partie au code du travail dispose que « tout contrat par lequel une association ou une société bénéficiant de l’agrément prévu (…) s’assure, moyennant rémunération, le concours de l’un de ces salariés est un contrat de travail à durée déterminée », ce qui évite toute requalification en CDI. Les contrats peuvent avoir une durée de 12 mois à 5 ans renouvelable.
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