Souvent vu ces derniers mois comme le sauveur des intérêts du public contre les lobbys culturels, le Parlement Européen a renversé la donne mercredi avec l’adoption du rapport Gallo, qui porte les messages les plus durs contre le partage de fichiers. Incohérence ? Pas sûr.

Après le vote du très conservateur rapport Gallo sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle, beaucoup se sont demandés mercredi si les parlementaires européens n’étaient pas tombés sur la tête. C’est en effet le même Parlement Européen qui, deux semaines plus tôt, a signé la déclaration écrite n°12 sur l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA). Où se trouve la constance et la cohérence ? Pourtant, si politiquement les deux actes envoient aux citoyens de l’Union Européenne des messages totalement antagonistes, juridiquement les choses sont beaucoup plus nuancées.

En effet même s’il avait été unanimement salué, le texte de la déclaration n°12 n’était pas très contraignant à l’encontre de l’ACTA. Les députés ne s’étaient pas opposés à la signature de l’accord ou même à la formation d’une nouvelle instance internationale de régulation de la propriété intellectuelle. Ils affichaient simplement certaines conditions qui ont été assez largement satisfaites par les dernières négociations, comme l’avait remarqué le député grec Stavros Lambrinidis. Or si les conditions sont satisfaites, il n’y aura plus motif de voter contre sa ratification.

Sur le strict plan de sa rédaction, la déclaration n°12 n’a rien d’incompatible avec le rapport Gallo qui vient d’être adopté. Il n’est pas incompatible non plus avec l’amendement 138 tel qu’il avait été voté in fine, après des mois d’intense débat sur la riposte graduée, puisque le paragraphe 5 du rapport Gallo rappelle lui aussi l’obligation de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, et la Convention européenne des droits de l’Homme.

Le texte de Marielle Gallo adopté par 328 voix contre 245 n’est pas même contraire au rapport Lambrinidis, pourtant unanimement applaudi en son temps, qui avait été voté par une majorité écrasante de 481 voix contre 25 en mars 2009. Outre toute une série de demandes de protection des libertés fondamentales sur Internet, le texte du député grec demandait à « procéder à l’adoption de la directive concernant des mesures pénales visant à l’application des droits de propriété intellectuelle« , et à « lutter contre les incitations aux cyber-violations des droits de propriété intellectuelle« . La précaution a toujours été prise de ménager les deux « camps ».

En revanche, c’est sur le plan politique que l’adoption du rapport Gallo vient remettre de l’ordre. L’élection d’un député Pirate, le rapport Lambrinidis, l’intense débat sur l’amendement 138 (dit « amendement Bono »), la première résolution exigeant la transparence sur l’ACTA, puis la déclaration n°12 avait fait écran de fumée ces derniers mois. Mais le rapport Gallo siffle la fin de la récréation et marque la reprise en main par les députés de la protection des droits d’auteur, un an et demi après le signe annonciateur qu’avait été la décision d’allonger la durée de protection des droits des producteurs et artistes-interprètes.

Ca n’est pas l’échec cuisant du Parti Pirate aux élections suédoises ce mois-ci qui pouvait les contrarier. Les 7 % obtenus aux Européennes sont déjà loin. Le vent qui semblait porter sur la scène politique une certaine remise en question de la propriété intellectuelle en Europe s’est affaibli.

Dans ce contexte, le rapport Gallo vient réaffirmer l’existence sur le vieux continent du dogme, jamais tout à fait effacé, de la propriété intellectuelle la plus stricte, perçue comme vecteur de croissance.

Il assure en son préambule que les atteintes aux droits « peuvent constituer une menace réelle pour nos économies et nos sociétés« , affirme que « les brevets et les industries culturelles contribuent de façon décisive à la compétitivité de l’économie européenne« , et donc que « les actuelles atteintes aux DPI entraîneront un essoufflement de l’innovation dans l’Union européenne« .

Parmi elles, « le téléchargement non autorisé de matériel protégé par des droits d’auteur constitue une atteinte manifeste aux droits de propriété intellectuelle« , explique le rapport. Il signe la feuille de route de Bruxelles pour les prochaines années.

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