Google a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris parce que ses algorithmes suggéraient des expressions de recherche jugées diffamatoires pour le plaignant. Google Instant pourrait en pâtir.

Il est parfois difficile d’adapter le Droit aux évolutions technologiques, et vice-versa. La décision du tribunal de grande instance de Paris du 8 septembre 2010, diffusée par Legalis, en est encore une démonstration. En effet, le tribunal a jugé que Google était civilement responsable des termes suggérés lors de la recherche au fil de la saisie, via son système Google Suggest. Il a condamné solidairement pour diffamation la société Google Inc. et son directeur Eric Schmidt en personne, et a ordonné au moteur de recherche de supprimer toutes les suggestions associant le nom du plaignant aux termes « viol », « condamné », « sataniste », « prison » et « violeur ».

Le tribunal a refusé de se satisfaire du fait que les termes suggérés étaient le fait d’un algorithme, car « les algorithmes ou les solutions logicielles procèdent de l’esprit humain avant que d’être mis en œuvre« . Il a reproché à Google de ne pas avoir fourni de preuve que les suggestions étaient le fruit « des chiffres bruts des requêtes antérieurement saisies sur le même thème« , et l’a même contesté en remarquant que les « recherches associées » proposées par ailleurs n’étaient pas les mêmes, alors qu’elles sont elles aussi basées sur l’antériorité des recherches. « Ce qui laisse penser que les deux services ne reposent pas, comme il est soutenu, sur un pur calcul algorithmique neutre« , constate le TGI. Il remarque d’ailleurs que certains termes « grossiers » sont écartés d’office, ce qui montre qu’un traitement manuel complète l’algorithme.

Pour justifier la condamnation en diffamation, le jugement explique que les suggestions causent préjudice à la victime puisque « les items de recherche litigieux sont incontestablement de nature à orienter la curiosité ou à appeler l’attention sur les thèmes qu’ils proposent ou suggèrent et, ce faisant, de nature à provoquer un ‘effet boule de neige’ d’autant plus préjudiciable à qui en fait l’objet que le libellé le plus accrocheur se retrouvera ainsi plus rapidement en tête de liste des recherches proposées« .

Il nie par ailleurs l’atteinte à la liberté d’expression, avec un argument difficile à contrer. « La suppression éventuelle de tel ou tel des thèmes de recherche proposés ne priverait aucun d’entre eux de la faculté de disposer, mais à leur seule initiative et sans y être incité par quiconque, de toutes les références indexées par le moteur de recherches correspondant à telle association de mots avec tel patronyme ou telle raison sociale de leur choix« , note ainsi le tribunal.

Les conclusions sont ainsi différentes de celles de la Cour d’appel de Paris qui, le 9 décembre 2009, n’avait pas condamné Google pour l’association de la marque « Direct Energie » à l’expression « Direct Energie arnaque ». « Rien ne permet de mettre en doute l’affirmation de Google, suivant laquelle les 10 suggestions litigieuses sont le résultat d’un calcul statistique automatique fait à partir des 10 requêtes les plus populaires – comprendre les plus souvent formulées – chez les internautes utilisant Google »« , avait noté la Cour d’appel. Elle s’était contentée d’imposer à Google de mieux présenter les suggestions pour que l’on comprenne comment est établie la liste.

S’il est bien argumenté sur le fond, le jugement du TGI de Paris pourrait en revanche être dévastateur pour l’innovation. Il contraint en effet Google et surtout toutes les start-up (qui n’ont pas les mêmes moyens de se défendre) à redouter en permanence que les résultats issus de tels ou tels algorithmes puissent les faire condamner, et donc à renoncer à leurs innovations. Le nouveau système Google Instant étant basé sur ces algorithmes de suggestions de requêtes au fil de la saisie, c’est aussi cette innovation que le jugement met en péril.

Mais c’est là le difficile équilibre à trouver entre la technologie et le Droit, et sur ce cas précis, nous devons avouer ne pas avoir d’opinion très tranchée.

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