Accusé de publier à grand fracas des informations tronquées, banales, voire de se faire manipuler par des lobbys ou des services de renseignement, Wikileaks fait débat.

Universitaire spécialisé dans les questions de sécurité et de terrorisme, Antonin Grégoire a publié sur Rue89 un article d’une rare acidité à l’encontre de Wikileaks, qu’il accuse d’être devenu « une idéologie en noir et blanc aux relents conspirationnistes, faite de gentils Assange et de méchante CIA« . Il réagit à la publication des fameux 400 000 documents sur la guerre en Irak, après ceux de l’Afghanistan.

L’article mérite d’être lu. Il constate que Wikileaks a trahi sa promesse originelle, qui était d’abattre la censure étatique, en publiant des documents qu’il a lui-même expurgés d’informations sensibles. « Parce qu’il faut protéger les éventuelles victimes d’éventuelles représailles nous dit-on. Et par ce très juste argument, WikiLeaks redécouvre, comme par magie, l’une des vertu du secret en temps de guerre, et s’y soumet docilement« , note l’auteur, qui s’interroge. « WikiLeaks, à l’origine, c’était pas le type qui justement brisait les secrets ? Pourquoi se retrouve-t-on avec dans les mains des feuillets plus censurés qu’une lettre de Poilu de 1917 ? On ne comprend plus trop« .

Il fustige le résultat des War Logs. « Pour un historien, c’est de la rage devant leur inutilité ; pour un journaliste, c’est une insulte ; pour un spécialiste du renseignement, c’est révoltant d’amateurisme ; pour un internaute, c’est du vol« , résume-t-il.

Pire, il reproche à Wikileaks d’être instrumentalisé par ses sources à des fins de propagande : « Une agence de renseignement digne de ce nom dispose d’un service de contre-espionnage qui lui permet de résister aux manœuvres d’intoxication. Ça aurait permis à WikiLeaks, par exemple, de se demander pourquoi il reçoit des documents secrets sur le  » climatgate  » qui vont alimenter tous les climatosceptiques de la planète la veille du sommet de Copenhague… sur le climat« .

La thèse n’est pas nouvelle. Déjà lors de la publication des documents Afghans, certains y ont vu l’œuvre de manipulations orchestrées par la CIA, tels Thierry Messan ou ReOpen911, alertés par le fait qu’Assange ne souhaite pas remettre en cause la version officielle des attentats du 11 septembre. Le site ConspiracyWatch voit une explication à cette méfiance nouvelle envers Wikileaks : « Les documents secrets dévoilés par Wikileaks (sur l’Afghanistan) présentent un inconvénient fâcheux pour les conspirationnistes. Ils jettent une lumière crue sur le soutien qu’apporte en sous-main l’ancien chef des services secrets pakistanais Hamid Gul, à Al-Qaïda et aux Talibans. Or, Gul est l’une des  » sources  » des conspirationnistes. Cela fait des années qu’il accuse la CIA et le Mossad d’avoir fomentés les attentats du 11-Septembre ainsi que ceux de Bombay, en 2008« . Les « conspirationnistes », eux, accusent Wikileaks d’avoir publié des documents mensongers qui, justement, visent à discréditer Gul. Inextricable.

Antonin Grégoire juge aussi que le site, qui vit grâce à ses sources anonymes, ne les protège pas avec suffisamment d’entrain lorsqu’elles sont découvertes. « Bradley Manning est le  » whistleblower  » qui a envoyé à WikiLeaks les 90 000 documents sur la guerre d’Afghanistan. Il est en prison et risque d’y rester 54 ans« , rappelle-t-il. Or, « on ne trouve, sur WikiLeaks, pas le moindre lien vers le comité de soutien à Manning« . Dérangeant.

Enfin et surtout, il note que les « documents secrets » ne révèlent pas grand chose que l’on ne savait déjà. « Quels scoops… L’ignoble Pentagone a dissimulé la mort de 15 000 civils sur sept ans de guerre. Cela fait des mois que le site IraqBodyCount en affiche 107 000 au vu et au su de tous, mais, à 109 000, grâce à WikiLeaks, cela devient un scoop« , écrit l’universitaire.

Mais c’est peut-être là la seule et véritable force de Wikileaks (qui a tout de même révélé de vrais scoops, comme la préparation du traité ACTA). Par une force médiatique nouvelle, une capacité à générer un « buzz » important autour de ses publications les plus importantes, Wikileaks oblige la presse et les citoyens à porter un regard neuf sur ce qui était devenu une violence ordinaire, banale, invisible. Plus qu’informer, il fait ouvrir les yeux. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de regarder d’un oeil sceptique les informations qu’il révèle. Comme dans la presse traditionnelle.

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