Les masculinistes sont à la mode. En témoigne le succès récent de plusieurs excellents travaux sur ce thème en France, comme l’essai de ma consœur Pauline Ferrari, Formés à la haine des femmes, ou bien le court métrage documentaire La Mécanique des fluides de l’artiste-chercheuse Gala Hernández López, récompensé d’un César. Cette médiatisation est une bonne chose : on doit prendre la mesure de la montée de l’antiféminisme et des discours misogynes, sur le web et en dehors. Hélas, cela inspire aussi des productions plus maladroites, comme le documentaire Mascus, les hommes qui détestent les femmes, diffusé la semaine dernière par France Télévisions.
Le journaliste Pierre Gault y met en scène sa découverte des masculinistes en ligne. Cette posture incarnée saborde d’emblée son sujet, complètement dépolitisé, remplacé par une quête personnelle et naïve. L’auteur se filme en train de scroller sur les chaînes YouTube et TikTok d’hommes qui traitent les femmes comme des animaux (heureusement, il regarde aussi des vidéos de chatons pour se détendre) ; il participe à un stage d’entraînement à l’affrontement physique (la voix-off insiste qu’il n’est « pas à l’aise ») ; est initié à la « drague de rue » (et finit par emmerder des filles en caméra cachée) ; peine à répondre aux mensonges d’un homme qualifié d’influenceur masculiniste (est-ce qu’on imaginerait donner la parole sans filtre à un « influenceur raciste » ou un « influenceur homophobe » ?).
Les femmes, elles, sont bizarrement absentes. Une seule experte est interrogée, la chercheuse en désinformation Stéphanie Lamy. Les autres sont reléguées au rang de victimes, comme l’humoriste Typhaine D. qui raconte son cyberharcèlement, et le cas ignoble d’une femme assassinée par son ex-compagnon, détaillé pendant de longues minutes, photos de la scène de crime à l’appui. Cette séquence insupportable est suivie par une conclusion supposément touchante d’un jeune homme, ex-incel revendiqué, qui a trouvé l’amour depuis sa déradicalisation.
« Not all men »
On a besoin de contenus grand public sur le masculinisme, et je n’ai aucun problème avec le fait de privilégier la pédagogie à l’exhaustivité. Ici, on reste désespérément en surface. Aucune réflexion sur l’histoire du masculinisme (qui ne date pas d’aujourd’hui), comment il est aujourd’hui poussé par le modèle économique des réseaux sociaux, comment ces discours contaminent les médias traditionnels, les nuances d’un mouvement tentaculaire…
« Les incels sont à la mode ; ils attirent du clic. Mais cet intérêt tend à brouiller un certain nombre de nuances essentielles quant aux aspects les plus banals et quotidiens de misogynie violente », écrivait en 2022 le chercheur canadien Luc Cousineau, cité dans l’essai de Pauline Ferrari. Cette banalité n’est pas évoquée dans le documentaire. Quelque part, il est rassurant de voir les masculinistes comme monstrueux et marginaux, terrés dans leurs serveurs Discord et leurs boucles Telegram. Moi je ne suis pas comme ça ! Je suis sensible, j’aime regarder des vidéos de chatons ! Insister sur la différence entre eux et nous, c’est ignorer les racines du problème ou ne pas vouloir les comprendre.
Il y a quelques semaines, je discutais avec une militante contre les cyberviolences de genre, qui soulignait la large couverture médiatique des deepfakes X, alors que la pornodivulgation classique intéresse moins. Elle soupçonnait une certaine fascination pour l’aspect technologique et extrême des deepfakes. Toutes ces pratiques sont pourtant les symptômes d’un même phénomène : la volonté de dominer et contrôler les femmes. On ne peut pas réfléchir au masculinisme et à ses effets sur la société sans décortiquer le système patriarcal qui les nourrit, et admettre que c’est ce même système qui favorise une partie de la population, y compris les mieux intentionnés. On ne peut pas parler de masculinisme sans parler de tous les hommes.
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