Éliane Houlette, qui dirige le parquet national financier, était dimanche l’invitée du Grand Rendez-Vous Europe 1—Le Monde—iTélé animé par Jean-Pierre Elkabach, pour parler notamment de la perquisition spectaculaire menée dans les locaux parisiens de Google France, le 24 mai dernier. L’opération qui concerne des accusations de fraude fiscale organisée sur plusieurs années avait marqué à la fois par son ampleur (près d’une centaine d’enquêteurs dépêchés sur place), et par le grand secret qui l’avait précédé.
C’est, visiblement, une fierté de la procureur. « Ça a été la grande opération du parquet national financier, note-t-elle (à partir de 7″25 dans la vidéo ci-dessous). Grande, parce que nous avons été saisis d’une plainte de l’administration fiscale au mois de juin [2015] qui concernait l’entreprise Google, qui est quand même la plus grande entreprise en terme de capitalisation au monde. Et c’est vrai que c’est un peu le combat de David contre Goliath ».
« Nous sommes partis d’une plainte de l’administration fiscale, que nous avons traitée en totale confidentialité, compte tenu de l’activité de cette société », raconte Éliane Houlette. Elle ne précise pas si elle se méfiait de Google lui-même, compte tenu des pouvoirs d’indiscrétions offerts par ses nombreux services en ligne et data centers que seraient susceptibles d’utiliser les enquêteurs, ou si elle se méfiait plutôt de la NSA, dont les missions consistent aussi à faire de l’intelligence économique au service des grands champions commerciaux américains et donc, de protéger leurs intérêts.
Nous avons décidé de ne jamais prononcer le nom de Google
Mais clairement, le parquet financier se méfiait des outils automatisés qui surveillent des mots clés, qu’ils soient écrits ou prononcés. « Pour assurer cette confidentialité parfaite au sein du parquet, nous avons décidé de ne jamais prononcer le nom « Google », mais de donner un autre nom, Tulipe, et de travailler ce dossier uniquement hors connexion, hors réseau », précise ainsi la magistrate. Le nom « Tulipe » a été choisi « parce que la société mère était immatriculée en Hollande », l’autre pays des fleurs.
Cette confidentialité a duré « presque un an, avec un ordinateur qui était uniquement en traitement de texte, si je puis dire, déconnecté ».
L’importance de cette confidentialité est tout de même à relativiser dans la mesure où Bercy avait déjà exigé 1 milliard d’euros de redressement fiscal à Google France en 2012, et qu’une source de l’État avait parlé en début de cette année d’un redressement de 1,6 milliards d’euros.
Google France connaissait donc les risques de perquisitions. Savoir s’il a pu mettre des papiers au propre avant la visite des enquêteurs, puisque la perspective d’une résolution amiable (écartée par Michel Sapin) s’éloignait, relève de la spéculation. Le parquet n’a en tout cas voulu prendre aucun risque, même si l’article 434-4 du code pénal interdit la destruction de preuves pouvant servir à l’ouverture d’une instruction.
Manque un logiciel à 200 000 euros pour 1,6 milliards d’euros de redressement
En tout, 96 personnes se sont déplacées chez Google France, dont 25 experts informatiques. « Nous avons amassé beaucoup de données informatiques. Il y a plusieurs téra-octets (sic) de documents informatiques, au moins autant que Panama Papers, peut-être même plus. Il va falloir les exploiter, ça prendra plusieurs mois, j’espère pas plusieurs années », prévient Éliane Houlette. « La difficulté, c’est que nous sommes très limités par les moyens matériels technologiques. Il nous faudrait des logiciels extrêmement performants qui existent, mais dont nous ne disposons pas. Ils coûtent de l’ordre de 200 000 euros, et permettraient aux enquêteurs de police judiciaire d’aller beaucoup plus vite ».
Google est accusé de prétendre, par un montage financier et contractuel avec sa maison-mère hollandaise, que cette dernière est l’exécutrice d’une part essentielle du commerce de Google en France, et qu’à ce titre les impôts doivent être payés aux Pays-Bas selon les règles des Pays-Bas, et non en France. Mais Bercy ne l’entend pas de cette oreille et les documents saisis doivent permettre de démontrer que la réalité des activités commerciales de Google en France est bien orchestrée depuis l’hexagone, ce qui rendrait l’imposition obligatoire.
Mais malgré les moyens spectaculaires déployés, le procureur national financier se montre pessimiste sur l’issue de la procédure à court ou moyen terme. « Dès lors que nous engageons des enquêtes, nous souhaitons qu’elles arrivent à leur terme, et que les personnes bénéficient d’un procès. La difficulté, c’est que les investigations sont très longues, et qu’en terme de moyens matériels et humains, nous sommes très limités ».
La balle, désormais, est dans le camp du ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas, et du ministre des finances Michel Sapin. 200 000 euros pour redresser 1,6 milliards d’euros, c’est a priori une somme que l’État doit pouvoir se permettre d’engager…
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