Une énorme structure de 500 mètres de haut et de 170 km de long, coupant à travers le désert et les montagnes en ligne droite, et abritant 9 millions de personnes… avant même la fin de sa construction, The Line avait déjà tout pour être une dystopie. Mais de nouvelles révélations sur le gigantesque projet de ville de l’Arabie saoudite dressent un tableau encore plus sombre : le gouvernement aurait donné à ses forces armées la permission de tuer les opposants au projet.
C’est une enquête de la BBC, parue le 9 mai 2024, qui livre les détails glaçants de cette histoire. Dans l’article, Rabih Alenezi, un ancien colonel de l’armée, raconte avoir reçu, en 2020, l’ordre d’expulser les habitants d’un village à proximité de la zone de construction de The Line. Leur mission prévoyait que « quiconque continuait à résister [à l’expulsion] devait être tué », et ils auraient eu la permission « d’utiliser la force létale contre quiconque resterait dans sa maison. »
The Line est déjà une dystopie
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement saoudien est critiqué pour ses actions contre la tribu des Huwaitat, dont certains représentants s’opposent au projet. Dès octobre 2022, Numerama s’était fait l’écho de la condamnation à mort par des tribunaux saoudiens de plusieurs Huwaitats, qui avaient critiqué le projet sur les réseaux sociaux.
Selon Rabih Alenezi, l’ordre d’expulsion qu’il avait reçu concernait le village d’al-Khuraybah, situé à 4,5 km au sud du tracé de The Line. Il aurait prétexté être malade afin de ne pas avoir à participer à la mission — et c’est lors de cette dernière qu’un habitant du village aurait été tué. La personne abattue par l’armée saoudienne, Abdul Rahim al-Huwaiti, aurait refusé de laisser rentrer chez lui plusieurs envoyés du gouvernement. Il aurait été abattu par l’armée le lendemain. Le gouvernement a toujours officiellement expliqué qu’il aurait ouvert le feu en premier sur les forces de l’ordre, et qu’il aurait été tué dans la riposte.
Aujourd’hui, le témoignage de Rabih Alenezi apporte un autre éclairage sur l’histoire, en montrant que le gouvernement aurait, sciemment, donné l’ordre à l’armée de tuer les opposants. « Mohamed Ben Salman [le prince du pays, ndlr] ne laissera rien ni personne s’opposer à la construction », a déclaré l’ancien militaire à la BBC. « J’ai commencé à m’inquiéter de ce que l’on pourrait me demander de faire contre mon propre peuple. »
Depuis la mort d’Abdul Rahim al-Huwaiti, les persécutions contre son village auraient continué. Selon l’ONU et ALQST, une organisation humanitaire basée en Arabie saoudite, « au moins 47 autres villageois ont été arrêtés après avoir résisté aux expulsions, et nombre d’entre eux ont été poursuivis pour des motifs liés au terrorisme. » Parmi eux, 40 serait toujours en prison, et cinq auraient été condamnés à mort, d’après les organisations.
The Line et Neom, des projets problématiques
En plus de toutes ces accusations, The Line est également critiquée sur d’autres aspects. La ville, qui sera construite en ligne droite sur 170 km de long, va être un désastre écologique, coupant la zone en deux pour les espèces locales, et présentant un risque énorme pour les populations d’oiseaux.
La construction de la ville, qui a commencé, représente également un gouffre économique : le pays a été obligé de chercher des financements auprès de banques. The Line doit de plus faire face à d’importants retards, et a dû réduire ses ambitions : au lieu d’être achevée en 2023, elle ne fera à cette date-là que 2,4 km de long, et n’accueillera que 300 000 habitants, sur les 9 millions initialement prévus.
La future ville fait partie de Neom, un projet monumentale d’aménagement du territoire lancé par Mohammed Ben Salman. En plus de The Line, Neom doit accueillir d’autres projets titanesques, dont Trojena, une station de ski qui organisera les Jeux asiatiques d’hiver en 2029, ou encore Aquellum, une ville souterraine connectée.
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