L’image « All eyes on Rafah » générée par intelligence artificielle est devenue virale sur Instagram, avec près de 30 millions de partages en à peine 24 heures. Elle a été publiée suite à une frappe contre un camp de réfugiés à Gaza, qui a fait des victimes civiles.

Sur la photo, on ne voit que des tentes à perte de vue : le camp de réfugiés semble s’étendre sur des kilomètres, jusqu’à l’horizon. Au centre, ce qui semblent être des sacs de provisions servent à dessiner quatre mots : « All eyes on Rafah », que l’on peut traduire en « Regardez tous Rafah ». Ce slogan est devenu le cri de ralliement des internautes s’opposant aux frappes menées par l’armée d’Israël sur Rafah, une ville du sud de la bande de Gaza où sont installés de nombreux camps de réfugiés. Depuis le 28 mai 2024, cette image a été partagée près de 30 millions de fois sur Instagram.

Cette story, absolument virale, n’est pas anodine. Elle a été publiée à la suite d’une attaque contre un camp de réfugiés, afin de protester contre les agissements de l’armée israélienne. Si elle rencontre un tel succès, c’est aussi parce qu’elle a réussi à passer outre certaines des règles mises en place par les réseaux sociaux, en étant notamment générée par intelligence artificielle.

La story « All Eyes on Rafah » est devenue virale // Source : Capture d'écran Numerama
La story « All Eyes on Rafah » est devenue virale

Les vraies images sont souvent censurées par les réseaux sociaux

Le cliché possède effectivement de nombreux indices d’une image générée par intelligence artificielle, même si on ignore quelle IA a été utilisée. Les détails sont flous, d’autres semblent se répéter et certains éléments de la photo sont dénués de sens (plusieurs des tentes en bas de l’image ressemblent plus à des files de voitures qu’autre chose). Plus généralement, il se dégage de la photo une impression bien connue de celles et ceux habitués à observer des clichés réalisés avec de l’IA. Le style des images générées par intelligence artificielle est ici bien reconnaissable. Or, il semble justement que c’est parce que l’image a été générée par IA qu’elle a pu devenir aussi virale.

La photo a été partagée quelques jours après une attaque particulièrement meurtrière sur un camp de réfugiés, qui a fait 45 morts et plus de 200 blessés le 26 mai. Davantage que les frappes précédentes, celle-ci a retenu l’attention de la communauté internationale en raison des images des victimes, particulièrement choquantes. Ces photos et vidéos réelles ont très rapidement été censurées.

Comme le note NBC, « les vidéos de Rafah postées par des journalistes palestiniens ont été restreintes et, dans certains cas, retirées des réseaux sociaux parce qu’elles montraient de manière graphique les conséquences des frappes israéliennes. Deux des trois posts Instagram montrant des corps brûlés, gravement blessés et morts après la récente frappe ont été supprimés, et l’un d’entre eux a été précédé d’un filtre de contenu sensible pour contenu graphique ou violent. »

Instagram, contacté par Numerama, n’a pas encore répondu à nos questions. Cependant, le réseau social, qui est l’un des plus utilisés par les journalistes sur place ou les habitants de Gaza, a récemment pris la décision de cacher « le contenu relatif à la politique » — et la guerre entre Israël et le Hamas semble faire partie de ces sujets considérés comme trop politiques.

Utiliser des photos générées par intelligence artificielle permettrait ainsi d’outrepasser de telles restrictions. La photo « All eyes on Rafah » porte un message fort, tout en respectant les règles des plateformes comme Instagram. Le créateur de la photo de Rafah a d’ailleurs généré d’autres clichés avec la même technique. Sur son compte Instagram, on peut ainsi voir d’autres images interpelant sur la situation à Rafah : des enfants en pleurs avec une ville en ruine, une femme perdue au milieu de tentes en feu, ou encore une main sortant de décombres. Contacté lui aussi par Numerama, il n’a pas répondu au moment de la publication de cet article.

D'autres images générées par intelligence artificielle  // Source : Shahv4012
D’autres images générées par intelligence artificielle. // Source : Shahv4012

Le rôle de l’IA décrié

En plus de ne pas être censurées, les photos générées par IA présentent l’avantage d’être rapides à produire. Alors qu’une affiche dessinée à la main prend des heures à faire, il suffit de quelques secondes pour produire une photo avec un outil comme Midjourney. Encore un avantage que les internautes utilisent.

Si cette photo permet un engagement inouï, on peut cependant s’interroger sur l’utilisation de ce genre d’image générée par IA. Certains internautes ont ainsi critiqué l’emploi de fausses images plutôt que celle de vrais clichés de la guerre. En dehors des questions de censure, peut-on véritablement s’indigner de vraies atrocités commises sur de vraies personnes avec des images créées de toute pièce ? Il existe de véritables photos des camps de réfugiés palestiniens à Gaza qui ne montrent pas de charniers, qui auraient peut-être pu être utilisées.

En termes de vérifications journalistiques, l’usage de l’IA pour parler de crimes de guerre est également délicat. Il est par essence difficile de se baser sur une image générée par IA pour rapporter des faits réels, tels que des bombardements. Il y a quelques mois, l’utilisation par Libération d’une image utilisant de l’IA avait fait polémique : sur la couverture du quotidien, une vraie photo d’un homme brandissant une image générée par une intelligence artificielle avait alimenté les critiques. Le journal avait été accusé de propager des fake news, et de participer à de la propagande.

Le rédacteur en chef de Libération, Dov Alfon, avait pris la parole, et avait expliqué que ces images faites par IA étaient devenu « le socle artistique de protestations, comme auparavant l’étaient des pantins, poupées ou squelettes ». Pour l’homme qui avait brandi la fausse photo, peu importait la vérité, et seule comptait la colère face aux bombardements à Gaza. Aujourd’hui, la popularité de l’image All Eyes on Rafah repose exactement sur les mêmes mécanismes : l’indignation des internautes est réelle, peu importe les photos avec laquelle elle s’exprime.

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