Mercredi soir, les députés ont finalement adopté en seconde lecture le très controversé article 4 du projet de loi Loppsi. Celui-ci permet à l’exécutif de désigner les sites Internet et les contenus pédo-pornographiques afin d’en obtenir le filtrage au niveau des fournisseurs d’accès à Internet. L’intervention préalable de l’autorité judiciaire dans le processus de blocage a été rejetée.
L’adoption de l’article 4 sans le contrôle du juge est une déception à deux niveaux. D’une part, l’efficacité du blocage est loin d’être démontrée et risque de conduire à un sur-blocage. En cherchant à restreindre l’accès en aval plutôt qu’en intervenant en amont (en retirant les contenus directement à la source), la Loppsi va pousser les pédo-pornographes à adopter de nouveaux moyens pour accéder et partager de tels contenus.
Le travail des forces de police et de l’autorité judiciaire sera considérablement compliqué lorsqu’ils seront face à des réseaux chiffrés et décentralisés. Cette migration des utilisateurs s’est déjà vue avec la loi Hadopi, qui vise uniquement les utilisateurs des réseaux peer-to-peer. Plusieurs internautes ont changé de fusil d’épaule en passant par des sites spécialisés dans le streaming ou le téléchargement direct.
D’autre part, l’absence de l’autorité judiciaire fait craindre une dérive du filtrage. Si personne ne contestera la nécessaire lutte contre la pédo-pornographie, d’aucuns craignent que celle-ci soit instrumentalisée pour répondre à d’autres objectifs politiques. Puisque les juges ne seront pas de la partie, l’exécutif pourra étendre le filtrage à d’autres types de contenus. Comme Wikileaks ?
« Le gouvernement a fait le choix hypocrite et honteux de ne rien faire pour retirer les contenus pédo-pornographiques en ligne, tout en prétextant régler le problème. […] Le blocage de l’accès aux sites ne réglera absolument rien au problème de la pédo-pornographie. Le cheval de Troie de la protection de l’enfance ouvre la porte, par ce vote, à la censure généralisée du net » a déploré Jérémie Zimmermann.
Comme nous l’expliquions en début d’année, le filtrage des sites à travers une liste noire maintenue par l’administration est un véritable problème démocratique. Si celle-ci est secrète, elle empêche tout recours à celui qui aurait été bloqué abusivement. Si la liste est publique, alors elle devient un annuaire idéal pour dénicher des contenus pédo-pornographiques. D’où l’importance du juge dans ce processus.
« Il est extrêmement inquiétant de voir les députés donner leur aval au filtrage administratif du net. Nul ne pourra contrôler la façon dont ces mesures de filtrage seront mises en place, par une liste noire secrète, et il n’y aura pas moyen de les contester » a réagi Félix Tréguer, chargé des affaires juridique et institutionnels à la Quadrature du Net.
En février, lors de l’examen en première lecture de la loi Loppsi, les députés avaient pourtant adopté l’article 4 tout en exigeant l’intervention de l’autorité judiciaire. Le filtrage du net au niveau des FAI était toujours possible, mais avec le contrôle du juge. Depuis, le texte est allé au Sénat cet automne et les parlementaires ont validé le filtrage du web sans contrôle judiciaire.
L’opposition devrait maintenant s’en remettre au Conseil constitutionnel pour tenter de revenir sur l’article 4.
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