Ce sont des visuels que vous avez probablement déjà croisés sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Depuis le 9 juin 2024, des illustrations se sont rapidement propagées sur la toile. Objectif : appeler à la mobilisation des électeurs et des électrices pour les prochaines législatives et, surtout, à l’union de la gauche pour faire barrage à l’extrême droite.
Ces images rencontrent un grand succès sur la toile. « Arrêtez de me faire rire ! », a lancé un internaute qui réagissait à un poster mettant en scène un Grosminet fâché, avec un texte reprenant son défaut d’élocution (« Fafuffit »). « Ces affiches sont parfaites », a abondé l’avocat maître Eolas, en partageant un visuel disant : « on s’engueulera plus tard. »
Des réactions comme celles-ci, on en trouve beaucoup depuis le 12 juin. En effet, c’est à partir de cette date qu’une plateforme collaborative a été mise en place : 24×36.art. Un nom certainement pas choisi au hasard : il renvoie notamment aux dimensions couramment utilisées pour des posters de films, des publicités et des affiches en tout genre.
Ce format particulier participe aussi à la viralité de ces images sur la toile. Il convient à un affichage sur mobile, qui est l’accès dominant sur Internet — et notamment des sites communautaires comme X ou Facebook. Par ailleurs, il entre dans des tailles accessibles à son impression en vue d’un collage dans la rue, par exemple.
Le graphisme populaire
À l’image du Nouveau Front populaire, qui a émergé dès le lendemain de la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, le site 24×36.art a jailli très rapidement. Pourtant, si ce Front populaire est bien une émanation de partis politiques, 24×36.art s’avère être une initiative spontanée de deux graphistes, Geoffrey Dorne et Mathias Rabiot.
Une initiative que les deux designeurs ont voulue collaborative, et c’est ce qui en fait sa principale force de frappe, analyse François d’Estais, responsable de la prospective et de l’innovation éditoriale chez Havas. Sur X, il remarque que « l’univers graphique du Front Populaire ne ressemble à aucun autre », en raison de sa très grande décentralisation.
En fait, cette créativité en matière de communication politique s’apparente à l’inventivité propre au militantisme d’une manifestation. Ces évènements sont toujours le théâtre de slogans bien trouvés et de pancartes qui savent accrocher le regard, ce qui tranche avec la communication politique traditionnelle, plus balisée et retenue.
Et cela marche. Comme le note François d’Estais, la création d’un autre graphiste, Dugudus, a attiré à lui plus d’attention que le logo officiel du Nouveau Front populaire. On peut comprendre pourquoi : le premier est sobre et classique, typique d’un parti politique. Le second met en scène la population en action, avec la coalition au centre.
L’image créée par Dugudus a été reprise par François Ruffin, personnalité clé du mouvement, dès le 10 juin, au lendemain de la dissolution. Elle trône en bannière sur frontpopulaire-2024.fr, site que l’ex-député a partagé, où les internautes peuvent donner ou apporter leur soutien. On l’a retrouvée aussi dans les médias et dans les manifestations.
La dimension collaborative est aussi un facteur clé. 24×36.art invite qui le souhaite à faire des affiches, avec pour seule consigne de prendre un ton joyeux, optimiste, loin de toute négativité et agressivité — et de respecter le format 24×36. La sélection est assurée par Geoffrey Dorne et Mathias Rabiot, qui ont reçu un millier de propositions.
Cette approche très horizontale de la coopération, avec la possibilité pour chacun et chacune de contribuer (les artistes apparaissent anonymes, et les œuvres sont sous licence libre) offre ainsi une opportunité de faire jaillir des créations qui sauront frapper les cœurs et les esprits. Les dizaines de visuels témoignent d’un fourmillement d’idées.
Il y a en tout cas eu une certaine créativité collective. C’est ce que relève François d’Estais : « Il est frappant de voir s’installer en quelques jours un territoire de communication graphique très décentralisé, hétérogène, spontané, contributif. » Et de faire à son tour un parallèle avec l’inventivité d’une manifestation.
Il conclut : « Cela faisait très longtemps qu’on n’avait pas vu en politique une telle richesse graphique spontanée. Une campagne éclair menée par des militants peu coordonnés, sans charte ni esthétique commune. Du pur point de vue de la communication politique, un tour de force réussi jusqu’alors. »
Les codes d’Internet s’invitent dans la campagne
Le mouvement auquel on assiste depuis le 9 juin ne se limite d’ailleurs pas aux seules affiches. Les codes propres à Internet sont également largement repris pour parler de l’actualité politique. Le président des Républicains Éric Ciotti est devenu un mème, et de nombreuses informations sont largement détournées, de façon absurde et humoristique.
L’action se propage également sur TikTok, une plateforme dont on a pu dire qu’elle a joué un rôle dans la percée de l’extrême droite chez les jeunes (des vidéos virales favorables à l’extrême droite, utilisant du deepfake, avaient été repérées). C’est la stratégie de La Gauche d’Internet, « diffuser du contenu de gauche en soutien au Nouveau Front Populaire ».
La stratégie est la même, avec une horizontalité assumée. On en appelle à la base, aux bonnes volontés, aux créatifs, pour échanger, partager des ressources et produire du contenu afin de déployer un contre discours au RN. Et défendre les vues du Nouveau Front populaire. Leur Discord compte près de 1 800 personnes.
On retrouve notamment le phénomène des éditions de politiciens. Des vidéos courtes et humoristiques, initialement destinées aux célébrités, mettent en scène des hommes et femmes politiques de manière exagérée et décalée, dans le but de les valoriser et d’encourager les internautes à voter pour eux.
Cette stratégie mise sur la viralité des réseaux sociaux, où le repartage est très facile. Ces « édits politiques » sont un phénomène qui s’est amplifié à la suite des résultats des européennes et de la dissolution. Ici, il s’agit moins de produire un débat d’idées que de connecter la jeunesse à la politique (il y a eu plus de 60 % d’abstention chez les moins de 35 ans).
La gauche, toutefois, n’est pas la seule force politique à chercher à miser sur des codes décalés et drôles. L’extrême droite aussi a pu s’en saisir, avec le souci de présenter une image acceptable, agréable, fun et qui « parle » le même langage. La publication de Jordan Bardella sur Instagram, en réaction au message de Squeezie, en est un exemple.
Ces initiatives montrent aussi l’impact des réseaux sociaux sur la politique et la manière dont les politiciens tentent de tirer parti de ces nouvelles tendances pour se rapprocher des électeurs. À gauche, on a vu le cas du député La France Insoumise qui ne savait pas au départ ce qu’était un édit, et, l’apprenant par la suite, s’en est emparé.
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