C’est un accord qui met un terme à une saga politico-judiciaire démarrée il y a maintenant quatorze ans. Dans la nuit du 24 au 25 juin, le compte officiel de WikiLeaks a annoncé la remise en liberté de Julian Assange, son fondateur. L’intéressé, qui était détenu au Royaume-Uni depuis 2019, a pu quitter le pays à bord d’un avion.
« Julian Assange est libre. Il a quitté la prison de haute sécurité de Belmarsh le 24 juin au matin, après y avoir passé 1 901 jours. La Haute Cour de Londres lui a accordé une caution et il a été libéré dans l’après-midi à l’aéroport de Stansted, où il a pris un avion et quitté le Royaume-Uni », a écrit l’organisation sur X (ex-Twitter).
À cette occasion, une brève vidéo de treize secondes a été mise en ligne par WikiLeaks. Elle montre un convoi se diriger manifestement vers l’aéroport d’où est parti Julian Assange, âgé aujourd’hui de 52 ans. L’intéressé est visible à l’écran. On le voit notamment tenir en main des documents puis embarquer dans un avion.
Sur les réseaux sociaux, son épouse Stella Assange, qui a également été son avocate, a partagé son immense satisfaction. « Julian est libre ! Les mots ne suffisent pas à exprimer notre immense gratitude envers vous — oui vous, qui vous êtes tous mobilisés pendant des années et des années pour faire de ce projet une réalité. Merci. Merci. Merci. »
De nombreuses autres réactions du même acabit se sont succédé, de la part de proches, mais aussi de soutiens à l’Australien.
Politiquement, même le gouvernement australien a salué ce dénouement, par la voix du Premier ministre, Anthony Albanese. « Il n’y a rien à gagner à poursuivre l’incarcération de Julian Assange », a-t-il déclaré, ajoutant que cette affaire « traîne depuis trop longtemps. » Il souhaite désormais le voir regagner son pays librement.
Une ultime étape judiciaire à passer, et un aveu de culpabilité à donner
Mais derrière les effusions de joie, l’épopée politico-judiciaire dans laquelle s’est retrouvée Julian Assange n’est pas encore tout à fait terminée. S’il a été libéré par la justice britannique, c’est dans le cadre d’un accord de plaider-coupable avec la justice américaine, qui réclamait son extradition aux États-Unis, rappelle l’AFP.
En effet, avant de pouvoir regagner l’Australie, Julian Assange va devoir malgré tout comparaître devant un tribunal américain au préalable. L’avion qui le transporte n’a donc pas immédiatement fait route vers Canberra, mais vers les îles Mariannes, un archipel situé entre le Japon et l’Australie. C’est sur ce territoire américain du Pacifique qu’il comparaîtra le 26 juin.
Dans le cadre de l’accord, il doit accepter sa culpabilité de « complot pour obtenir et divulguer des informations relevant de la défense nationale. » Pour ce délit, il devrait être condamné à 62 mois de prison, soit la durée passée en prison au Royaume-Uni. Cette peine sera alors considérée comme couverte par la détention provisoire.
Il sera donc relâché et pourra retourner librement en Australie.
Des documents confidentiels de l’armée et de la diplomatie américaines sur la place publique
Dans cette affaire, le gouvernement américain cherchait à mettre la main sur Julian Assange en raison de son rôle dans la propagation de documents militaires et diplomatiques secrets. Julian Assange, qui officiait alors comme le rédacteur en chef de WikiLeaks, avait diffusé des informations sur les guerres américaines en Irak et en Afghanistan.
À cette époque, Julian Assange avait obtenu ces éléments via Chelsea Manning, une ancienne militaire américaine qui travaillait comme analyste dans l’armée. Elle avait également été arrêtée et emprisonnée, avant d’être libérée en 2017. Les documents judiciaires citent d’ailleurs à nouveau Chelsea Manning comme complice, fait observer l’AFP.
Lors de ces divulgations, une vidéo en particulier avait mis en lumière les exactions de l’armée américaine. La vidéo, baptisée « Collateral Murder » (meurtre collatéral), montre un raid aérien survenu en juillet 2007. Un hélicoptère américain ouvre le feu sur un groupe de personnes, à Bagdad, tuant dix-huit civils, dont deux journalistes et deux enfants.
Dans le cadre du système judiciaire américain, Julian Assange s’exposait à une législation très sévère sur l’espionnage, qui aurait pu aboutir à une peine de prison totale de 175 ans — soit, dans les faits, la perpétuité. En raison de ce risque, Julian Assange a tout fait pour ne pas tomber entre les mains de la justice américaine.
Crainte d’un coup monté pour l’extrader et refuge dans une ambassade
D’abord placé en liberté surveillée entre 2010 et 2012, l’affaire Assange connaîtra un virage spectaculaire avec l’ambassade d’Équateur à Londres. Le fondateur de WikiLeaks y trouvera refuge pendant sept ans, avant d’en être expulsé en 2019. Et depuis, c’est dans une prison de haute sécurité qu’il a passé le reste de son temps.
À cette période, Julian Assange s’est également inquiété d’un coup monté à son encontre, en impliquant tout à la fois le Royaume-Uni, l’Australie, la Suède et les États-Unis. Pour ce qui est de la Suède, Julian Assange a été mis en cause pour deux cas d’agression sexuelle à l’encontre de deux femmes suédoises, à partir de 2010.
C’est parce qu’il craignait une extradition vers les USA, depuis la Suède, après une arrestation par la police britannique sur le fondement d’un mandat d’arrêt européen, que Julian Assange s’est replié dans l’ambassade. En 2019, la Suède a toutefois fini par abandonner les poursuites contre lui, estimant qu’il n’y avait plus lieu de continuer.
Depuis, c’est la crainte d’une extradition directement depuis le Royaume-Uni qui a émergé. Pendant les années qui ont suivi, un âpre conflit juridique s’est ouvert, avec des appels et des recours en pagaille pour essayer d’empêcher, et à défaut de retarder, le plus possible la perspective d’une extradition. À l’été 2022, le principe de l’extradition avait été approuvé.
L’affaire Assange avait enclenché un vaste et long débat sur la liberté de la presse, mais aussi sur la nature des informations que les médias peuvent être amenés à traiter, et la façon dont on en rend compte au public. Si les avis ont été nombreux à considérer qu’il faisait un travail de journaliste, ce statut a été contesté par les États-Unis.
WikiLeaks a réaffirmé ce statut malgré le plaider-coupable. « WikiLeaks a publié des informations inédites sur la corruption des gouvernements et les violations des droits de l’Homme, obligeant les puissants à rendre compte de leurs actes. En tant que rédacteur en chef, Julian a payé sévèrement pour ces principes et pour le droit du peuple à savoir. »
Le rôle trouble de WikiLeaks dans la victoire de Trump à l’élection
L’étoile d’Assange a pâli au tournant de la présidence de Donald Trump, en 2016. WikiLeaks a en effet été accusé d’avoir indirectement favorisé la victoire du président républicain, en publiant régulièrement des mails piratés du camp démocrate. C’est à ce moment-là qu’une collusion avec les services secrets russes a été envisagée.
Des contacts entre le fils aîné de Donald Trump et WikiLeaks lors de la campagne ont aussi été mis en lumière à cette époque, ce qui a laissé penser que cette organisation ne poursuivait plus un agenda purement journalistique et désintéressé. Julian Assange, lui, se trouvait toujours dans l’ambassade équatorienne à cette époque.
Si Trump a eu des mots très durs sur Assange (il a qualifié WikiLeaks de « honteux » et jugé que ses activités méritaient la peine de mort), la dernière année de sa présidence a été marquée par une rumeur selon laquelle il aurait proposé la grâce à Assange s’il affirmait que la Russie n’était pas impliquée dans la fuite des mails démocrates.
À l’époque, la Maison-Blanche a contesté cette allégation. Il y avait eu en effet un contact en 2017, après la présidentielle, entre un élu républicain pro-Trump et Julian Assange, avec la perspective d’une grâce. Cependant, il n’était alors pas démontré que le politique agissait à la demande de Donald Trump.
Autant de choses sur lesquelles Julian Assange reviendra peut-être, après son ultime passage devant le tribunal fédéral américain.
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