Ce n’est qu’un tout petit passage du projet de résolution sur la robotique et l’IA préparé au Parlement européen par l’eurodéputée Mady Delvaux, dont nous avons déjà commenté les propositions osées en matière de protection sociale des êtres humains mis au chômage, ou de reconnaissance d’une personnalité juridique aux robots autonomes, à des fins de responsabilité civile et d’assurance. Mais c’est un passage qui promet aussi de faire débat.
Dans son rapport, la députée luxembourgeoise propose en effet au Parlement européen qu’il « demande à la Commission de définir des critères de « création intellectuelle propre » applicables aux œuvres protégeables par droit d’auteur créées par des ordinateurs ou des robots ».
Après avoir suggéré que « les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques dotées de droits et de devoirs bien précis », le projet de résolution propose donc que parmi ces droits figure des droits d’auteur d’un type nouveau, dont le robot pourrait être titulaire. À moins, plus certainement, qu’il s’agisse de définir des règles qui permettent d’établir la propriété des droits sur une œuvre créée par une intelligence artificielle, entre la personne qui a conçu l’algorithme d’apprentissage et doté le robot des capacités de réalisation, et la personne qui possède le robot et lui a enseigné ce qu’il devait savoir pour être capable de réaliser une œuvre.
Une œuvre robotisée a de fortes chances d’être libre de droits, ce qui est intolérable pour des studios tentés de sous-traiter à des machines
La proposition n’est pas du tout développée par Mady Delvaux, et appelle donc beaucoup plus que questions que de réponses. Mais il est certain qu’elle va devenir une préoccupation croissante des lobbys industriels, alors que l’on voit poindre de plus en plus d’intelligences artificielles spécifiquement conçues pour créer des œuvres d’art.
Dans le domaine musical, on a vu par exemple le projet Magenta de Google (qui a livré sa première composition musicale), ou les sites JukeDeck et Brain.fm. En chorégraphie, l’IA Watson d’IBM est désormais capable d’inventer des danses pour Nao. On sait aussi faire des robots qui dessinent, des IA qui écrivent le scénario d’un film ou qui écrivent des romans convaincants, ou des poèmes qui le sont moins.
Même si l’humanité se plaît encore à croire que le robot n’aura jamais la subtilité, l’imagination et la sensibilité que demande la réalisation d’une œuvre d’art, il est aujourd’hui clair que des chercheurs voient les choses très différemment et qu’ils espèrent remplacer au moins une partie de la créativité humaine par une créativité robotisée. Or actuellement, une œuvre robotisée a de fortes chances d’être libre de droits, ce qui est intolérable pour des studios qui seraient tentés de sous-traiter tout ou partie de la production artistique à des machines.
Quels droits d’auteur pour les IA ?
En France, mais le raisonnement vaut à peu près partout dans le monde, le tout premier article du code de la propriété intellectuelle dispose en effet que pour être protégée au titre des droits d’auteur, une œuvre doit être une « œuvre de l’esprit ». La jurisprudence nous dit à cet égard que n’est « de l’esprit » que ce qui est original, ce qui porte « l’empreinte de la personnalité » de l’auteur.
Or actuellement, une intelligence artificielle ne possède pas de personnalité juridique et ne peut donc pas prétendre à être auteur et titulaire de droits. Les maîtres ou les créateurs du robot ne peuvent aussi que difficilement prétendre être les auteurs de ce que crée leur chose. C’est la même difficulté qu’avec le droit d’auteur sur les œuvres créées par des animaux, qui se révèlent être libres de droits même si l’humain a paramétré les outils techniques utilisés par l’animal.
Il n’est pas dit que dans sa grande créativité, la justice ne découvre pas un jour « le reflet de la personnalité de l’auteur » d’une IA derrière l’œuvre créée par un robot, et attribue au concepteur les droits sur la création. Mais l’incertitude juridique actuelle est totale, et complexifiée par les algorithmes qui demandent à être nourris, et qui peuvent être nourris à la fois par le concepteur avant la mise sur le marché ou par mises à jours à distance, par le propriétaire du robot qui « éduque » son compagnon électronique, ou par le robot lui-même qui s’instruit automatiquement au hasard de ses rencontres.
Définir par la loi le régime juridique applicable aux œuvres créées par des robots est donc du bon sens. En revanche, savoir quel régime appliqué donnera lieu à un débat intense. Et qui sait, peut-être même faudra-t-il attribuer les droits au robot lui-même, pour qu’il puisse les vendre et payer ses propres cotisations sociales ?
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