À l’origine, j’avais prévu d’écrire un édito sur la nécessité de protéger ses données dans un pays dirigé par l’extrême droite (je vous recommande tout de même de consulter ce guide très pédago du collectif Nothing 2 Hide, valable en toutes circonstances). Et puis dimanche, il s’est passé une chose rare : j’ai été surprise par les résultats d’une élection. Si je ne peux pas me réjouir que le Rassemblement national double quasiment son nombre de député·es en deux ans, je ne peux pas non plus nier mon soulagement. Qu’on évite le pire, que ces trois semaines de violence médiatique (et physique) s’achèvent enfin. Reste la question la plus angoissante : et maintenant ?
Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le rôle des réseaux sociaux dans cette campagne : l’exploitation des codes de TikTok par l’extrême droite, la gauche qui s’inspire de la K-pop ou de Taylor Swift pour mobiliser, etc. Surtout, on a critiqué celles et ceux qui se raccrochaient à leur supposée neutralité en ligne. Des journalistes se sont ouvertement rebellé·es contre leur rédaction incapable de s’engager contre l’extrême droite.
Vous ne serez plus jamais neutres. Tant mieux.
Des influenceurs et influenceuses ont brisé leur image très lisse pour appeler à faire barrage ; d’autres ont été attaqué·es pour leur silence assumé. Le vidéaste Tibo InShape a par exemple appelé ses fans à aller voter, mais a refusé de donner une consigne particulière. Dimanche soir, il a finalement révélé avoir voté Ensemble : « Je peux vous le dire sans vous influencer, les élections sont terminées. »
La neutralité est un sujet qui touche plein d’aspects de nos vies, souvent questionnée à juste titre (je vous renvoie par exemple vers cet édito sur l’impossible neutralité des technologies ou cet article sur la place particulière des journalistes en ligne). Sur le web, elle devient une obsession sans nuances. Les réseaux sociaux seraient trop à droite ou trop à gauche, selon à qui vous posez la question. On attendrait de nos activités en ligne qu’elles se fassent dans un environnement totalement divorcé de tout contexte économique (malgré les entreprises qui le dominent), politique ou social.
Pourquoi accepte-t-on que le contenu des dictionnaires papier évolue, mais pas que la communauté de Wikipédia puisse se déchirer sur la manière de présenter les personnes trans dans leur biographie ? Pourquoi l’opinion non-neutre serait-celle des militant·es trans, plutôt que celle des wikipédiens qui refusent de prendre en compte leur avis ?
« La neutralité est un outil au service d’un système de domination », expliquait la journaliste et militante antiraciste Sihame Assbague chez Internet Exploreuses (un podcast que je coanime avec ma consœur Héloïse Linossier), justement à propos de la situation Wikipédia. Car en vérité, toutes ces discussions sont déjà bien connues des personnes minorisées avec une présence publique en ligne : féministes, engagées dans l’antiracisme, l’antivalidisme, la lutte pour les droits LGBT. Parfois, le simple fait d’être qui nous sommes, sans engagement politique particulier, nous disqualifie d’un débat. On n’aurait pas le droit de nous exprimer sur des sujets qui nous concernent pourtant, sous peine de les salir par nos vécus.
Les élections législatives et le danger imminent de l’extrême droite ont brutalement élargi le spectre de ces réflexions. Beaucoup plus de personnes ont peur d’être dominées. Beaucoup d’autres ont réalisé que lorsqu’on nous réclame un web neutre, on nous réclame en vérité un web sans conflits, c’est-à-dire sans revendications politiques des opprimé·es. Le calme est bien souvent une position de privilégié·es. Or, malgré le répit de dimanche, l’extrême droite ne va pas disparaître du jour au lendemain. Vous ne serez plus jamais neutres. C’est tant mieux.
Cet édito est issu de notre newsletter #Règle30 par Lucie Ronfaut, chaque mercredi à 11h. Abonnez-vous :
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