Ce week-end, prise d’une nostalgie un peu morbide, j’ai revu The Avengers. Je garde un souvenir ému de la sortie du film en 2012. À l’époque, j’achevais une année d’échange universitaire aux États-Unis. J’ai autant apprécié le spectacle sur le grand écran que la mélancolie douce de partager un paquet de popcorn XXL avec des ami·es que je ne reverrai, pour la plupart, plus jamais.
Finalement, même plus vieille et depuis mon canapé moins confortable qu’un fauteuil de cinéma, The Avengers reste un film divertissant. Les dialogues sont drôles, les scènes d’action bien ficelées, les héros suffisamment développé·es pour qu’on s’y attache. Mais j’ai tout de même noté un changement. Aujourd’hui, Tony Stark me met profondément mal à l’aise.
Cet édito est extrait de la newsletter Règle 30 par Lucie Ronfaut, envoyée chaque mercredi à 11h. Pour vous abonner :
Ce n’était pas le cas en 2012. Tony Stark/Iron Man (incarné par l’acteur Robert Downey Jr.) est la clé de voûte du début de l’univers Marvel au cinéma, et un personnage très apprécié des spectateurs et spectatrices. D’abord présenté comme un entrepreneur prétentieux et malpoli, il devient ensuite… un entrepreneur prétentieux et malpoli, pourtant capable de mener son équipe de super-héros pour sauver l’humanité avec courage et abnégation. C’était peu ou prou la représentation classique des entrepreneurs du numérique dans la fiction des années 2010 : des génies incompris, asociaux, néanmoins des héros potentiels. Comme tout le monde, je trouvais Tony Stark insupportable, mais amusant. J’ai cru aux mensonges d’Iron Man.
J’ai toujours été intéressée par la manière dont la fiction regarde l’industrie du numérique et ses acteurs. Parce qu’elle reflète l’évolution de nos espoirs et de nos angoisses vis-à-vis des technologies, mais aussi parce qu’elle raconte (souvent) une autre histoire de celle construite par les entrepreneurs. Quand Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg affichent leurs muscles saillants, ce n’est pas seulement par amour de l’hypervirilisme, mais aussi pour contrer l’image du petit nerd inquiétant qui a longtemps été populaire dans nos esprits. Quand Elon Musk rachète Twitter/X, il se met au centre des conversations et de l’attention médiatique, pour mieux l’orienter sur les sujets qui l’obsèdent. Les entrepreneurs parviennent même à se réapproprier les fictions les plus dystopiques, en les vidant de leurs messages politiques et en nous promettant d’être, comme eux, les héros d’un futur forcément high-tech.
Il m’est impossible de trouver Tony Stark amusant aujourd’hui
En 2022, l’un des scénaristes du premier film Iron Man (2008) expliquait avoir pioché chez différentes personnalités du monde industriel pour donner vie à Tony Stark : Steve Jobs (qui décédera trois ans plus tard), Donald Trump (qui n’était pas encore un homme politique) et Elon Musk. Au cinéma, on a vu Tony Stark apprendre de ses erreurs, s’ouvrir aux autres, devenir quelqu’un de bon, selon l’échelle de valeurs typiques et légèrement rétrogrades d’un film d’action (un bon patriote, un bon mari, un bon père de substitution). Dans la vraie vie, Elon Musk a appelé ce week-end à voter pour Donald Trump (il a promis d’aider financièrement sa campagne à raison de 45 millions de dollars par mois) et a accusé les services secrets américains d’embaucher trop de femmes à la suite de la tentative d’assassinat du candidat à l’élection présidentielle américaine. Il a été suivi par plusieurs personnalités de la Silicon Valley et du capital-risque qui ont déclaré leur soutien à l’homme politique d’extrême droite. Lundi, Trump a d’ailleurs annoncé l’identité de son colistier : il s’agit du sénateur J.D. Vance, ancien protégé du milliardaire de la tech Peter Thiel.
Pour toutes ces raisons, il m’est impossible de trouver Tony Stark amusant aujourd’hui. Il n’est pas qu’un personnage de fiction. Il est l’écho dérangeant d’hommes bien réels et de leur trajectoire sinistre dans notre Histoire, la vraie. Il est plus simple de se poser en héros que d’accepter qu’on est un super-vilain.
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