Dimanche soir, Joe Biden a annoncé qu’il n’était plus candidat à sa réélection lors du scrutin présidentiel prévu en novembre aux États-Unis. Il a apporté dans la foulée son soutien à la candidature de Kamala Harris pour l’investiture démocrate. Vice-présidente pour encore quelques mois, elle est aussi l’ex-procureure générale et ex-sénatrice pour la Californie.
Mais ces derniers temps, elle est surtout célébrée pour avoir inspiré de nombreux mèmes en ligne. Kamala Harris danse avec des enfants sur la musique de votre choix ; Kamala Harris se marre (beaucoup) ; Kamala Harris parle de cocotiers et se marre (encore). Dimanche, elle a même été adoubée par la reine actuelle du web, la chanteuse Charli XCX, qui a déclaré que « Kamala EST une brat », en référence au titre de son dernier album (brat, qui veut dire « peste » ou « sale gosse » en anglais).
La politique court après les mèmes depuis de nombreuses années. Si on ne gagne pas une élection en faisant des blagues en ligne, un mème organique peut être un véhicule très efficace pour une personnalité politique et son programme. Il peut aussi très vite se retourner contre sa source d’inspiration, si elle cherche trop ouvertement à profiter de ce pouvoir viral. « Les mèmes sont comme des mauvaises herbes : ils se développent mieux quand on n’y touche pas », écrit très justement la journaliste américaine Katie Notopoulos. Un bon mème doit naître presque par accident. Il est à la fois sincère et ironique. Il est surtout, souvent, terriblement genré.
Cet article est l’édito de la newsletter Règle 30 de Lucie Ronfaut, envoyé le mercredi 24 juillet 2024. Pour recevoir les numéros suivants :
Internet adore ranger tout le monde dans des petites boîtes. Les femmes peuvent être des « mothers » (un terme piqué, comme beaucoup d’autres, à la culture afro-américaine et queer), des « brats » et toute une litanie de « girls ». Les hommes dont s’entichent les internautes seront traités comme des oncles rigolos, des « daddies » suaves ou des chanteurs de kpop sexys, selon leur âge. Ces attributs, généralement attribués à des stars, contaminent petit à petit la communication politique.
La journaliste américaine Taylor Lorenz parle ainsi de « popcraveification de l’information », en référence à Pop Crave, un célèbre compte la plupart du temps dédié aux activités des people. Selon elle, de plus en plus de personnes s’informent via des comptes viraux (dédiés aux stars, aux mèmes, etc) plutôt qu’en consommant des médias traditionnels. Il est dès lors logique que la politique soit davantage traitée comme un divertissement.
Une élection a toujours été un cirque médiatique, mais quelque chose a changé
Ce contexte vaut aussi, de plus en plus, pour la France. Pourquoi ne pas qualifier Valérie Pécresse de « queen » parce qu’elle a été filmée en train de remonter ses manches ? Pourquoi ne pas réduire Marine Tondelier à sa veste verte, comme si elle était un costume de scène ? Et quand des militant·es de gauche ont décidé d’inonder TikTok et Twitter/X de vidéos en l’honneur des candidat·es du NFP pour les élections législatives, imitant les fancams très populaires dans la kpop, ce sont surtout des hommes qui ont été mis en avant. Démontrant ainsi le pouvoir des stéréotypes genrés (et souvent hétérosexuels) en ligne, mais aussi la sous-valorisation des femmes dans la vie politique française.
On peut reconnaître l’importance pour les politiques d’aujourd’hui de s’adapter aux nouvelles pratiques de communication. On peut aussi admettre qu’il y a quelque chose d’un peu dérangeant à forcer des élu·es à rentrer dans des moules médiatiques et sexistes, mieux adaptés à des personnages que des véritables personnes. Peu importe le fond de leurs valeurs politiques ou leur position dans le monde, pourvu que les codes du mème soient respectés et qu’on s’amuse.
Pour autant, une élection a toujours été un cirque médiatique pour attirer l’attention d’un maximum de monde. La différence, c’est que les internautes sont désormais, en partie, en contrôle du spectacle. Il est plus facile de rire de la politique que de croire en elle.
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