Ca y est, le mot est lâché. Dans une interview au Figaro, où il rejette par ailleurs toute idée de fusion avec l’Arcep, le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) Michel Boyon parle sans détour de l’idée d’imposer un filtrage du net par un système de labels. Evoquant les « contenus mis en ligne par des particuliers sur les sites de partage de vidéos« , qui selon lui « sont ceux qui soulèvent l’essentiel des difficultés« , M. Boyon propose d’établir « une charte déontologique engageant les éditeurs et les hébergeurs, notamment pour la protection du jeune public, et qui pourrait déboucher sur un label accordé par le CSA« .
Dès lors, « nous pourrions aller plus loin encore en demandant que les logiciels de contrôle parental filtrent les sites qui n’auraient pas ce label« .
L’idée n’est pas nouvelle. Elle avait été proposée par Frédéric Lefebvre, dans des termes exactement identiques. En 2008, l’ancien député avait déposé un amendement à un projet de loi sur l’audiovisuel qui proposait que le CSA « délivre un label aux services de communication au public en ligne mettant des contenus audiovisuels à disposition du public qui s’engagent à assurer la protection de l’enfance et de l’adolescence dans les conditions définies par le Conseil« . Il précisait que « ces labels doivent être pris en compte par les moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services« .
L’idée avait été mise au placard, notamment faute de moyens financiers du CSA, mais la voilà donc ressortie. Par le CSA lui-même, ce qui à notre connaissance est une première.
On voit bien, par ces déclarations, se dessiner le projet de filtrage du net. L’Hadopi a pour charge d’inciter massivement les internautes à s’équiper des logiciels de filtrage, par la menace et la généralisation du soupçon, en exploitant le filon de la pratique très populaire du piratage. L’Hadopi définit elle-même les spécifications fonctionnelles que les logiciels de filtrage devront revêtir, éventuellement au delà de la simple lutte contre le piratage. Elle pourra demain exiger que les logiciels prennent en compte le label du CSA, pour que les parents bloquent l’accès aux sites non labellisés. Pour leurs enfants, et sans doute aussi pour eux-mêmes.
C’est l’œuvre de contrôle du net de Nicolas Sarkozy que nous avions décrite, qui se dessine effectivement sous nos yeux. Après le piratage, la protection de l’enfance n’est qu’une étape de plus. Demain d’autres suivront.
Rappelons à cet effet les propos de l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres qui avait esquissé le même type de label, mais pour la presse. Ce qui nous fait toujours nous remémorer la prémonition du journaliste américain Dan Gillmor, qui avait écrit ceci en 2006 :
Nous pourrions être témoins d’une alliance redoutable entre l’industrie du divertissement – ce que j’appelle ‘le cartel du copyright’, et du gouvernement. Les gouvernements sont très mal à l’aise face à la libre circulation de l’information, et ne la permettent que dans une certaine mesure. Les réformes législatives restrictives et les mesures techniques pour empêcher la violation de droit d’auteur pourraient mener un jour à devoir demander la permission pour publier, ou alors à ce que publier hors des sentiers battus semble trop risqué. Le cartel a ciblé certaines des innovations essentielles pour les actualités de demain, tel que le partage des fichiers qui facilite effectivement la violation de droits d’auteur mais qui offre aussi aux journalistes citoyens l’un des seuls moyens abordables pour distribuer ce qu’ils créent. Le gouvernement insiste sur le droit de tracer tout ce que nous faisons, mais de plus en plus d’hommes politiques et de bureaucrates ferment l’accès à ce que le public doit savoir – l’information qui fait de plus en plus surface à travers les efforts des médias non traditionnels.
A propos, il faut aussi s’inquiéter d’une autre proposition du CSA. Celle d’être « habilité à ordonner le retrait des programmes illicites et même à disposer d’un pouvoir de sanction en cas de récidive« . Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) aurait-il laissé se diffuser la vidéo très choquante, d’abord censurée par YouTube, qui a participé au renversement du régime de Ben Ali en aidant à une prise de conscience internationale ? Ou aurait-il exigé son retrait, par la voie judiciaire si besoin ? L’aurait-il plus simplement obtenu d’office, par la crainte de sanctions ? Que fera-t-il en période électorale des vidéos moquant les candidats ? Quel pouvoir d’appréciation aura-t-il sur le caractère « illicite » d’une vidéo ?
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