La blague est la suivante : on adore donner notre avis sur les performances sportives des meilleur·es athlètes au monde depuis le confort de notre canapé. Cela nous amuse, car on sait très bien que c’est ridicule. Évidemment que nous serions incapables de tels exploits, parce que nous n’avons pas dédié notre vie à la pratique intensive d’un sport, voire parce qu’on ne s’intéresse à ces disciplines qu’une fois tous les quatre ans (personnellement, je suis devenue une grande spécialiste du BMX en deux jours). Ces corps sportifs, capables des plus grandes prouesses, n’ont rien à voir avec les nôtres.
Sauf qu’au-delà des mèmes, de nombreuses personnes jugent vraiment l’apparence des athlètes, en particulier les femmes. Plusieurs sportives se sont vues reprocher leur poids (c’est le cas de la judokate française Romane Dicko). La boxeuse algérienne Imane Khelif a subi des attaques immondes aux relents racistes et transphobes. Tandis que les tenues des sportives dans certaines disciplines (en gymnastique, natation synchronisée, au beach-volley…) ont inspiré une pelletée de réactions misogynes, à coups de gros-plan sur l’entrejambe ou les fesses des athlètes.
Cet article est l’édito de la newsletter Règle 30 de Lucie Ronfaut, envoyée le mercredi 7 août 2024. Abonnez-vous pour recevoir les prochains numéros :
Le sport a toujours contrôlé et rejeté certains corps supposément pas assez féminins. À ce propos, je vous recommande cette interview de la socio-historienne Anaïs Bohuon, spécialisée dans les questions de genre dans le sport, et cette vidéo sur l’obsession pour le taux de testostérone chez les sportives. Cependant, ce vieux phénomène est aggravé par l’aspect connecté de la compétition. Internet est une machine à juger notre apparence. On entraîne littéralement des algorithmes à reconnaître les corps à laisser tranquille, et ceux à modérer sans sommation (trop féminin, trop dénudé, trop gros, etc). Mais nous, internautes, sommes aussi acteurs et actrices de cette surveillance, particulièrement sur les réseaux sociaux d’images qui dominent le web. Même si vous ne parlez pas de votre corps, d’autres le feront à votre place.
Les athlètes féminines sont juste traitées comme des femmes
Derrière une judokate qu’on qualifie de trop grosse, il y a toutes les femmes (grosses ou non) qu’on emmerde sur leurs poids le reste de l’année. Derrière une boxeuse qu’on accuse d’être un homme déguisé parce qu’elle a osé gagner son match, il y a les autres sportives racisées qui ont subi le même traitement avant elle. Et plus généralement le contrôle de qui est une femme adéquate aux yeux de la société (l’occasion de rappeler que la transphobie est un antiféminisme, même si on ne devrait pas seulement s’en soucier quand elle affecte des femmes cisgenres). Derrière les regards rivés sur les bikinis ou les justaucorps, il y a nos jupes trop courtes ou trop longues, nos nombrils trop exposés, nos voiles, nos cheveux, nos muscles, nos bourrelets, les commentaires haineux qu’ils engendrent.
Bien sûr, les corps des hommes sont aussi regardés. On souligne la capacité de récupération très rapide du nageur Léon Marchand, on compare ses mouvements dans l’eau à ceux d’un dauphin. Et j’ai trop vu les mésaventures du perchiste français Anthony Ammirati tourner sur mes différents fils d’actualité pour ignorer qu’ils peuvent, eux aussi, être sexualisés à leurs dépens. La différence, c’est que les athlètes masculins sont généralement traités — et célébrés — comme des belles anormalités. Les athlètes féminines sont juste traitées comme des femmes.
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