Le parquet de Paris a dévoilé la liste conséquente d’infractions qui pèsent sur Pavel Durov, le fondateur et dirigeant de Telegram. Des délits et des crimes sous le régime de la complicité. Il apparait aussi que l’application mobile ne respecte pas la loi en matière de règles sur la cryptographie.

Elles étaient forcément très attendues, et faisaient l’objet de suppositions depuis le début de l’affaire — parfois de fantasmes. Les circonstances qui ont mené à l’arrestation, en France, de Pavel Durov viennent d’être finalement communiquées par le parquet de Paris ce lundi 26 août. Elles sont singulièrement nombreuses.

En effet, ce sont pas moins de douze chefs d’inculpation qui ont motivé l’interpellation le 24 août et la garde à vue du fondateur et dirigeant de Telegram — elle est toujours en cours. Celle-ci a déjà été prolongée le 25 août et peut l’être encore pour un total de 96 heures, compte tenu des faits reprochés, soit jusqu’au mercredi 28 août.

On apprend par ailleurs que l’information judiciaire a été ouverte par un juge d’instruction le 8 juillet dernier, après une « enquête préliminaire d’initiative » diligentée par la section de lutte contre la cybercriminalité du parquet de Paris. Mais pour mettre la main sur Pavel Durov, encore fallait-il qu’il passe en France ; ce qu’il a fini par faire, malgré le mandat contre lui.

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Pavel Durov. // Source : Steve Jennings/Getty Images

Quels sont les griefs visant Pavel Durov ?

Les reproches sont les suivants :

  • Administration d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite en bande organisée ;
  • Refus de communiquer, sur demandes des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et I’exploitation des interceptions autorisées par la loi ;
  • Complicité – Détention de l’image d’un mineur présentant un caractère pédo-pornographique ;
  • Complicité – Diffusion, offre ou mise à disposition en bande organisée d’image de mineur présentant un caractère pornographique ;
  • Complicité – Acquisition, transport, détention, offre ou cession de produits stupéfiants ;
  • Complicité – Offre, cession ou mise à disposition sans motif légitime d’un équipement, un instrument un programme ou donnée conçu ou adapté pour une atteinte et un accès au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données ;
  • Complicité – Escroquerie en bande organisée ;
  • Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit puni de 5 ans au moins d’emprisonnement ;
  • Blanchiment de crimes ou délits en bande organisée ;
  • Fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme ;
  • Fourniture d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable ;
  • Importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable.

Certains griefs sont d’une gravité particulière, à commencer par ceux liés à la pédopornographie. L’application mobile est régulièrement confrontée à ce type de diffusion via des canaux spécialisés, y compris récemment : en début d’année, France Bleu signalait le démantèlement d’un groupe sur Telegram qui proposait la vente de sextapes d’adolescents.

Pavel Durov apparaît comme un dommage collatéral du manque notoire de coopération de Telegram avec les autorités judiciaires — ce qui se reflète dans le second chef d’inculpation. Selon L’Informé, la justice française s’est notamment intéressée aux « données d’identification des auteurs d’un canal Telegram, aujourd’hui fermé. »

Sur Telegram, on trouve facilement de la drogue  // Source : Numerama / Cambridge Jenkins IV
Sur Telegram, on trouve facilement de la drogue. // Source : Numerama / Cambridge Jenkins IV

La variété des infractions décrites dans le communiqué du parquet de Paris suggère que la coopération entre Telegram et les autorités a souvent fait défaut. Il y est question tout à la fois d’escroqueries (ce qui a déjà établi), de trafic de drogue (via le détournement d’une fonction de géolocalisation) ou de piratage informatique (ventes de kits spécifiques).

Il apparaît que les problématiques soulevées ici sont loin des enjeux de vie privée et de liberté d’expression qui ont pu être évoqués depuis le 24 août. Déjà à cette date, TF1/LCI, qui a été le premier média à signaler l’arrestation de Pavel Durov, mentionnait des dossiers particulièrement lourds : drogues, recel, terrorisme, blanchiment, escroquerie, pédocriminalité…

Des problématiques liées avec les règles sur le chiffrement

Des considérations liées à la cryptologie sont aussi à noter — il s’agit des trois derniers griefs. Même si Telegram ne chiffre pas par défaut de bout en bout les communications passant sur sa plateforme, l’application fournit des outils optionnels et fournit d’autres types de protection — à commencer par le classique chiffrement entre le serveur et l’internaute.

Concernant le premier grief sur la « fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme », la France a un cadre réglementaire particulier. Si l’utilisation d’un moyen de cryptologie est libre (aucune démarche n’est à faire), celui ou celle qui en fournit un doit, au moins, le déclarer.

C’est ce que rappelle dans ses pages l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) : « la fourniture, l’importation, le transfert intracommunautaire et l’exportation d’un moyen de cryptologie sont soumis, sauf exception, à déclaration ou à demande d’autorisation ». Une déclaration qui, selon le parquet, fait défaut.

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Des règles particulières existent en matière de chiffrement en France. // Source : Illustration Lucie Benoit pour Numerama

Des sanctions sont prévues, et cela depuis 2004. En effet, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose que « le fait de fournir des prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans avoir satisfait à l’obligation de déclaration est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Quant au dernier grief (Importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable), il est aussi soumis à des règles spéciales. Elles sont précisées également dans la LCEN. Ces règles incluent une déclaration préalable et, le cas échéant, une autorisation du Premier ministre.

Le communiqué a fait l’objet d’une traduction en anglais — là encore, il s’agit d’apporter des clés de lecture à un public international, qui a fortement réagi et parfois avec virulence à l’annonce de l’interpellation de Pavel Durov. Plus tôt dans la journée, Emmanuel Macron s’était même fendu d’un tweet, aussi traduit en anglais, pour dénoncer certaines fake news.

Source : Numerama
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